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Le blog d'Alain Boublil

 

Le grand retour de l'inflation

Les quarante Glorieuses sont bien finies, cette période durant laquelle les économies des pays développées avaient connu la stabilité des prix. En cette fin d’année 2022, l’inflation dans tous ces pays, à l’exception du Japon et de la Chine, aura atteint entre 7 et 11%, la France, pour une fois le bon élève, se situant parmi les meilleurs avec à la fin du mois d’octobre un taux harmonisé de 7,1% suivant les normes européennes, et de 6,2% suivant sa définition nationale. Cette longue période n’avait pourtant pas été exempte de crises financières, les trois réalignements du Franc au sein du Système Monétaire Européen dès son début, le krach boursier de 1987, les crises de la livre sterling et des marché asiatiques dans les années 90 et enfin en 2008 la crise des sub-primes suivie de la crise de l’euro. Mais aucune de ces turbulences n’avait débouché sur le retour de l’inflation.

Cette situation exceptionnelle résultait de la conjugaison de quatre facteurs. Contrairement aux prévisions pessimistes du Club de Rome ou du rapport Meadows, le monde ne fut pas confronté à une pénurie de matières premières et notamment de gaz naturel et de pétrole, ce qui avait été à l’origine des deux chocs des années 70. Tout au contraire, la découverte de gisements considérables et l’utilisation de nouvelles techniques d’extraction avec la fracturation hydraulique ont permis de satisfaire la demande mondiale. Il en a été de même pour les produits agricoles où les progrès ont été à l'origine d'une augmentation suffisante des productions pour nourrir une population mondiale qui avait doublé sur la période.

Le deuxième facteur, très efficace, a été la concurrence. On avait longtemps pensé, jusqu’au milieu des années 80 en France, que le contrôle des prix était la meilleure manière de contenir l’inflation. C’était une erreur. Le processus de libération intervenue à partir de 1984 sous l’égide du ministre des finances de l’époque, Pierre Bérégovoy, a été déterminant et a permis à la France de rejoindre en Europe le groupe des pays vertueux et de contribuer de façon décisive à la création de l’euro. Seuls les prix de certains services publics restèrent régulés.

Le troisième facteur a été la mondialisation qui a étendu le champ de la concurrence. En même temps, les consommateurs ont pu bénéficier d’un choix de produits beaucoup plus vaste et de prix stables ou même une baisse quand les gains de productivité ou les délocalisations vers des pays, et pas seulement en Chine, où les coûts salariaux étaient plus faibles, le rendait possible. Mais cela n’a touché que les produits manufacturés, lesquels ne représentent dans l’indice des prix français que la moitié du panier du consommateur. Les délocalisations s'inscrivant dans le processus de la mondialisation ne sont donc pas le seul facteur qui a influencé l’évolution des prix ces dernières décennies.

Enfin un puissant mouvement d’innovation a généré des gains de productivité dans l’industrie et dans les services avec la naissance de la société numérique. Cela a été un facteur décisif dans la réduction des coûts que les producteurs, sous l’effet de la concurrence, ont largement transféré à leurs clients. Mais les tensions géopolitiques et le recul de la mondialisation qui en est la conséquence vont bloquer et même inverser dans certains secteurs cette tendance et ainsi contribuer au retour de l’inflation qui risque donc d’être durable.

Le monde, en 2020, à la veille de l’épidémie du corona virus, n’imaginait pas que tous ces acquis pouvaient être remis en cause. Les tensions sur les chaines d’approvisionnement du fait des restrictions de déplacement étaient jugées transitoires. La crise énergétique provoquée par les sanctions occidentales contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine avait débouché sur une forte hausse des prix de l’énergie mais là encore, au début, il avait été estimé qu’il s’agissait d’un phénomène de courte durée. Les banques centrales, dont le mandat explicite ou implicite, leur fixait comme objectif le retour de l’inflation autour de 2% ont dû réagir d’autant plus brutalement que leur action était tardive, Mais était-ce la bonne solution ?

Le paradigme qui fonde leur action est largement devenu obsolète. La hausse des taux d’intérêt et la pression sur le crédit avaient pour fondement théorique le principe suivant lequel en restreignant la demande on réussit à peser sur l’évolution des prix laquelle reviendrait alors au niveau qui figure dans leurs mandats. L’inflation ayant un caractère conjoncturel, on y remédiait par la politique économique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car elle revêt un caractère structurel. Au début de l’année 2023, on assistera à un ralentissement du fait de « l’effet de base ». La hausse brutale des prix de l’énergie un an plus tôt avait constitué le point de départ du processus inflationniste. Comme il n’y aura pas en toute vraisemblance une nouvelle et aussi importante hausse des prix de l’énergie au 2ème trimestre, mécaniquement, les indices marqueront une pause. Mais les facteurs structurels demeureront.  

On ne peut pas prévoir quand les tensions entre les Etats-Unis et la Chine se résorberont mais ce qui est sûr, c’est que les conséquences économiques sont lourdes dès maintenant avec, par exemple, l’apparition de pénuries de composants électroniques qui sont devenus des pièces indispensables dans de nombreux produits industriels. Les mesures américaines auront des répercussions durables sur les prix de ces produits. Le mouvement de recul de la mondialisation, le retour à certaines formes de protectionnisme et leurs conséquences sur l’évolution des prix ne peuvent pas être ignorés car ils joueront tous dans la même direction : des coûts, donc des prix plus élevés. 

La reconstruction des chaines d’approvisionnement prendra du temps. L’expérience de la dépendance au pétrole et au gaz russe et les inquiétudes nées des tensions géopolitiques laisseront des traces. Les entreprises vont devoir investir pour rapatrier une partie de leurs usines dans des zones où leurs coûts de production seront moins favorables. Les prix offerts aux consommateurs seront donc durablement plus élevés. En même temps, la réalisation des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre va nécessiter des investissements considérables pesant sur les prix finaux dans tous les domaines.

Dans ce nouveau contexte, mettre la priorité sur la réduction de la demande en menant une politique monétaire restrictive a peu de chances d’aboutir au résultat escompté. C’est pourquoi on ne peut pas observer l’action actuelle des banques centrales sans se poser la question de leur opportunité. En renchérissant le coût des investissements réalisés pour répondre au double défi géopolitique et environnemental, il y a bien peu de chances que l’on obtienne une détente dans l’évolution des prix. En outre, les Etats s’étant massivement endettés pour traverser les crises successives intervenues depuis deux ans, on gène la réalisation des objectifs et on risque en même temps de mettre les pays les plus vulnérables en difficulté. Après la crise sanitaire et la crise internationale provoquée par l’invasion de l’Ukraine arriverait alors une nouvelle crise financière. Ce n’est certainement pas ce dont le monde a besoin.

Il ne faut donc pas se tromper sur les moyens à employer car il est souvent arrivé que les remèdes fondés sur l’expérience passée se révèlent être pire que le mal car les causes des déséquilibres auxquels on cherchait à remédier n’étaient plus les mêmes. La politique monétaire et le rôle des banques centrales sont aujourd’hui en première ligne dans le débat économique alors qu’en réalité l’action pour revenir à la stabilité des prix devrait être entre les mains des Etats.  

                

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