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Le blog d'Alain Boublil

 

La crise de l'essence en France

Comme si l’épidémie de la Covid-19 et les conséquences économiques et financières de l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’avaient pas suffi, voilà la France confrontée à une nouvelle épreuve, la pénurie de carburant qui a provoqué la fermeture de 30% des stations-services. Cela risque de paralyser l’activité et de générer un profond mécontentement dans la population. Dans plusieurs régions comme le Nord et l’Ile-de-France, des files interminables d’automobilistes font la queue devant les dernières stations restées ouvertes. Cette situation résulte de plusieurs facteurs.

Le premier, c’est la décision du groupe Total-Energies d’accorder à ses clients une ristourne de 30 centimes qui s’ajoutait à celle décidée par l’Etat, valable, elle, dans toutes les stations. Ce geste commercial a eu pour effet d’inciter les automobilistes à se fournir dans les stations du groupe, qui se sont trouvées rapidement dans l’incapacité de faire face à cet afflux de clientèle et ont dû fermer les pompes concernées. Cela a déclenché une inquiétude amplifiée par les médias. Les automobilistes inquiets se sont alors mis par précaution, à se rendre dans toutes les stations restées ouvertes ce qui a causé la situation actuelle. C’est la théorie bien connue des anticipations vérifiées. Quand on craint une pénurie et que l’on cherche à s’en protéger, on la provoque.

A cela s’est ajouté un mouvement social frappant les raffineries bloquées par les grévistes. Total-Energies, pour répondre aux critiques relatives aux profits générés par la hausse des cours du pétrole, avait accordé à ses clients une remise, avait augmenté son dividende pour ses actionnaires et allait payer davantage d’impôts. Malheureusement, le groupe avait oublié ses salariés et ils ont déclenché ce mouvement qui a aggravé la situation.

Mais un facteur essentiel, passé sous silence, a contribué lui aussi à cette crise, la réduction en dix ans des capacités de raffinage de la France, passées de 1,7 millions de b/j en 2010 à 1,14 millions en 2021. On a là un bon exemple de désindustrialisation qui est la conséquence directe d'une décision prise par l’Etat. A la suite du Grenelle de l’Environnement en 2008, ont été accrus les avantages fiscaux en faveur du diesel. Les Français ont alors privilégié, dans leurs achats, les véhicules roulant au diesel qui ont représenté jusqu’à 65% des immatriculations de voitures neuves en 2019. La consommation de ce carburant a suivi. En 2022, l’essence représentait moins du tiers de la consommation des véhicules particuliers.

Le raffinage est une technique très rigide et il n’était pas possible de transformer un outil qui produisait de l’essence pour produire du diesel. Et il n’était pas davantage rentable, d’importer du pétrole, de le raffiner en France pour ensuite exporter l’essence dans les pays où la demande existait encore. Quand l’Etat, conscient de son erreur puisque le diesel est bien plus dommageable pour la santé publique à cause des particules que les moteurs rejettent que l’essence, a voulu revenir en arrière en réaugmentant la fiscalité, il s’est heurté à un violent mouvement social et il a dû y renoncer. On avait incité les automobilistes à rouler au diesel et maintenant on allait les taxer davantage. On a là un bon exemple de mesure supposée être favorable à l’environnement, à partir d’une analyse erronée, qui se trouve avoir l’effet contraire. Elle a eu en plus des conséquences industrielles et sociales très négatives.

Il est rare que l’Etat reconnaisse ses erreurs. Pourtant il serait souhaitable qu’il tire les leçons de la situation actuelle car une crise bien plus grave se prépare avec la décision européenne que la France a soutenue, d’interdire la vente de véhicules particuliers équipés de moteurs thermiques à partir de 2035. Ce projet aura des conséquences industrielles et sociales majeures s’il est maintenu, alors qu’il ne répond pas à l’attente de l’immense majorité des automobilistes et que ses effets sur l’environnement seront sans rapport avec les efforts déployés. Depuis près de dix ans, l’Etat accorde de généreuses subventions en faveur de la voiture 100% électrique. Malgré cela, moins de 10% des acheteurs choisissent cette motorisation pour une raison simple, l’autonomie insuffisante des véhicules. Qui va investir une somme importante pour une voiture qui ne lui permettra pas de partir en vacances en famille ? Personne ou presque et c’est bien ce que l’on constate aujourd’hui. La majorité des véhicules vendus sont à usage urbain et achetés par des ménages qui en ont déjà un autre.  

Les arguments en faveur de l’environnement sont tout aussi fragiles. Il faut d’abord que l’électricité employée soit décarbonée. Ce n’est pas près d’être le cas comme le montre en Europe la crise énergétique actuelle et ce ne sera certainement pas le cas en 2035 quand on sait que, par exemple, le nouveau programme nucléaire français commencera à peine, dans le meilleur des cas à être opérationnel et que rien de comparable n’est prévu en Europe. Le réchauffement climatique est un phénomène global et la part que prend chaque Etat à sa limitation est proportionnelle à ses propres émissions. Or celles de la France sont négligeables et celles de l’Union Européenne bien faibles par rapport à celles des Etats-Unis, de la Chine et surtout celles à venir de l’Inde. Faut-il dans ces conditions se lancer dans une transformation aussi radicale et risquée d’un secteur industriel stratégique dans un délai aussi court ? La question mérite d’être posée.

Cette question est d’autant plus justifiée que la fabrication des véhicules électriques et des batteries est elle-même fortement consommatrice d’énergies fossiles ce qui limite l’intérêt du recours à une telle motorisation. En outre, les batteries nécessitent l’utilisation de métaux spéciaux, comme le lithium et de terres rares dont la France, comme la plupart des pays européens est dépourvue. Nous constatons les conséquences actuelles de la dépendance de l’Allemagne au gaz naturel importé de Russie, à la suite de choix qui se révèlent désastreux pour toute l’Europe. Environ 80 % des réserves connues de terres rares sont situées en Chine. Même si les inquiétudes actuelles à propos d’un éventuel envahissement de Taiwan avec les conséquences politiques et économiques que cela impliquerait sont peut-être surestimées, a-t-on imaginé quelle pourrait être la situation d’un secteur automobile dont l’existence même dépendrait de ses importations de terres rares de Chine pour produire les batteries de ses véhicules, si cette menace devenait une réalité ?

La dépendance de l’Europe, à travers le choix fait par l’Allemagne du gaz russe, vient de provoquer une crise énergétique majeure. Les maladresses des autorités publiques françaises à l’égard des différentes catégories de carburant sont largement à l’origine de la pénurie actuelle. Elle affecte les déplacements de millions d’automobilistes qui se rendent à leur travail et le transport routier qui est essentiel pour les chaines d’approvisionnement des entreprises, déjà perturbées par les tensions géopolitiques. Un basculement aussi rapide vers la voiture électrique sans que la question de la sécurité des approvisionnements en composants et en matières premières nécessaires à leur production soit résolue fait donc peser sur ce secteur une menace majeure, sans que les avantages en faveur de l’environnement soient convaincants.

Les crises ont souvent de bons aspects car elles peuvent déboucher sur des mesures qui se révèlent, à la fin, bénéfiques pour tout le monde. Il faut espérer que la pénurie de carburant qui frappe la France fasse prendre conscience à l’Etat, que d’une part la possibilité de se déplacer est essentielle pour l’activité économique et que transformer aussi brutalement un secteur qui permet ces déplacements mérite qu’on y réfléchisse car 2035, c’est demain.