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Le blog d'Alain Boublil

 

L'Allemagne, la France et les projets européens

L’Allemagne vient de se doter d’un nouveau gouvernement au moment où la France, qui  hérite de la présidence de l’Union européenne, va entrer en campagne électorale. Pendant ce temps, la crise sanitaire ne connait pas de répit mais l’économie donne des signes de reprise bien plus significatifs, notamment en France, que ce qui était attendu et redouté il y a un an. Ce sont sans aucun doute les mesures de soutien décidées pour faire face aux conséquences de l’épidémie qui ont été adoptées au niveau européen et dans chaque pays, qui sont à l’origine de ces résultats. La coordination des décisions des Etats-membres et l’existence de l’euro ont joué un rôle déterminant. Cela a garanti la stabilité financière et a permis, grâce à l’action de la Banque Centrale Européenne, de faire bénéficier ces plans de soutien de conditions de financement exceptionnelles.

Chaque étape franchie dans l’accomplissement du projet européen a été le fruit de l’étroite coopération entre la France et l’Allemagne. Ce fut une condition nécessaire, sinon suffisante, à  la création de l’euro. Cette coopération a permis la résolution des deux crises financières majeures qui ont affecté l’économie mondiale en 2007-2008 et les pays de la zone euro en 2012. Durant la crise sanitaire, les règles budgétaires ont été suspendues et un plan de relance destiné à soutenir l’emploi et les entreprises et dont le financement était mutualisé a été approuvé, là encore grâce au soutien conjoint de la France et de l’Allemagne. Le nouveau contexte politique né des dernières élections allemandes et qui pourrait être affecté par les prochaines échéances en France sera donc déterminant pour que soient définies et approuvées les prochaines étapes du projet européen.

Le gouvernement allemand a été formé grâce une coalition sans précédent entre les sociaux-démocrates, les libéraux et les écologistes. Son programme se veut le reflet de la « diversité de la société allemande », suivant les termes de l’accord, laquelle résulte d’une immigration « diversifiée et moderne » et aussi de la réunification entre l’Ouest et l’Est, il y a trente ans. L’unité intérieure reste à achever car elle porte encore la trace des profondes différences qui régnaient dans les systèmes politiques et sociaux des deux Etats. Mais cela n’a pas empêché Berlin de se fixer comme objectif d’aller vers un Etat fédéral européen.

En France, le débat est toujours vif entre d’un côté les partis populistes, de droite comme de gauche, qui proposent le retour de la souveraineté nationale et qui condamnent plus ou moins ouvertement l’euro, rendu responsable des déficits et du chômage, et en face les partis traditionnels qui s’affirment résolument pro-européens. A la différence de l’élection de 2017, le risque que les extrêmistes l’emportent est très faible si l’on en croit les sondages mais comme pour toute élection, l’incertitude prévaudra jusqu’aux résultats. La présidence française de l’Union Européenne, dans ce contexte, rencontrera beaucoup d’obstacles pour accomplir des avancées significatives et même d’être à l’origine de nouveaux projets, alors que des désaccords réels sont inévitables avec la coalition gouvernementale allemande, désaccords qu’il faudra bien tôt ou tard résoudre.

Le premier concerne la réforme du Pacte de Stabilité Financière. Il a été mis en veilleuse pour répondre aux exigences de la crise sanitaire. Mais Berlin a déjà annoncé qu’il entendait que de nouvelles règles soient fixées pour entrer en application en 2023. Le retour à des niveaux d’endettement de 60% du PIB à cette date et même d’ici quelques années, est totalement irréaliste pour la France qui sera à la fin de l’année proche de 114%. Mais le rythme de réduction des déficits budgétaires fera forcément partie du débat et les deux pays auront beaucoup de mal à trouver un accord, sans lequel la révision des règles communes au sein de la zone euro et leur adoption par les Etats-membres sont impossibles.

La transition écologique et les considérations relatives à la politique européenne de l’énergie figurant dans le programme de la coalition contiennent aussi des facteurs importants de divergence. A la différence des règles budgétaires, dont l’application s’étale dans le temps, la réglementation européenne que la France demande de réformer, a un impact immédiat sur les factures de gaz et d’électricité des ménages et des entreprises. La politique allemande de l’énergie a été un échec. L’abandon du nucléaire se traduit pour l’instant par un recours accru au charbon et au gaz russe, ce qui accroit à la fois les émissions de gaz à effet de serre et les tensions géopolitiques, comme le montre le débat actuel sur Nord Stream 2. L’annonce inscrite dans le programme de la coalition d’avancer la sortie du charbon « idéalement » en 2030 n’est pas crédible et témoigne des désaccords entre les partis. Quant aux énergies renouvelables, leur incapacité à satisfaire la demande a été démontrée cet automne.

Leur intermittence a provoqué, en plus d’un recours accru aux énergies fossiles, une vive hausse des prix de l’électricité qui a affecté les pays voisins. Leur développement rencontre une forte réticence locale avec l’opposition croissante à la construction des nouvelles lignes à haute tension nécessaires pour alimenter les régions du sud fortement consommatrices d’électricité alors que les éoliennes sont implantées dans le nord du pays. Mais Bruxelles, sous la pression de Berlin, et cela ne devrait pas changer dans les mois qui viennent, continue de rejeter toute réforme de la tarification de l’électricité, qui est défavorable à la France, et l’inscription de l’énergie nucléaire parmi les investissements éligibles au plan de relance vert qui permettrait des conditions de financement plus favorables. Les désaccords entre Paris et Berlin sont donc, là aussi, de nature à créer des tensions au niveau européen.

L’immigration et les règles d’entrée en Europe vont également être l’objet de vives discussions. Cette question occupera une place importante dans la campagne présidentielle française et dans celle des élections législatives qui suivra. Les deux pays ont des positions très divergentes. Le nouveau gouvernement allemand en a fait un point important de son programme et considère que le pays a besoin de plus d’immigration et qu’il a réussi l’intégration des arrivants. En France, c’est l’inverse. Même si les propositions des  candidats populistes ne seront pas reprises par les prochains dirigeants français, ceux-ci ne pourront pas ignorer la place que cette question a occupée dans le débat et le sentiment général de l’opinion publique, ce qui veut dire que, à l’exact opposé des demandes allemandes, la France recherchera à Bruxelles un durcissement des règles de Schengen et des restrictions accrues aux arrivées de travailleurs étrangers sur son sol.

La contribution majeure que les décisions prises au niveau européen a apportée pour atténuer les conséquences économiques de la crise sanitaire comme l’existence de l’euro qui a permis qu’à cette crise sanitaire ne vienne pas s’ajouter une crise financière, devraient idéalement renforcer l’adhésion des peuples au projet européen et permettre de franchir de nouvelles étapes. Mais la réforme des règles de stabilité financière, l’adoption d’une nouvelle politique énergétique et les dispositions en matière d’immigration, et la liste n’est pas exhaustive, constituent autant de points de divergences sensibles entre Paris et Berlin de nature à bloquer ces avancées.

Il faut donc espérer que les responsables politiques allemands qui viennent de faire preuve d’une grande souplesse quand il s’est agi de former leur large coalition, sauront montrer autant de pragmatisme et de finesse quand il s’agira de traiter ces questions essentielles qui concernent directement tous les Européens.    

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