Les tarifs réglementés d’électricité ont augmenté de 0,5% au 1er août après une hausse de 1,6% au 1er février. En deux ans, la facture annuelle des Français s’est accrue de 5%. On pourrait légitimement s’en inquiéter. Mais ce serait oublier qu’en moyenne, en Europe, la hausse a été bien supérieure, alors que le prix payé par les ménages y était déjà plus élevé qu’en France. En 2019, le coût par unité de consommation en Allemagne par exemple était supérieur de 68%. Les tarifs réglementés du gaz, eux, ont augmenté de 8,7% au 1er septembre après des hausses de 5,3% et de 9,9% au 1er juin et au 1er avril, sous l’effet d’une reprise économique mondiale et d’un printemps plus frais à peu près partout.
Alors que, dans le monde, la hausse des cours mondiaux du gaz se répercutait sur les prix de l’électricité, la France, grâce à sa production nucléaire, a pu ainsi atténuer les conséquences de ces tensions sur le pouvoir d’achat des ménages. Cette situation a coïncidé avec le retour à un meilleur niveau de disponibilité des centrales. La production au deuxième trimestre a atteint 75 TWh, en hausse de 7,9% par rapport à 2020, ce qui est peu significatif car on était en pleine période confinement, mais encore en baisse de 11% par rapport à 2019. Il est vrai qu’entretemps, le gouvernement avait jugé utile de fermer les deux unités de la centrale de Fessenheim.
Ce redressement de la production nucléaire, dans un contexte de hausse générale des prix des énergies fossiles et de l’électricité sur le marché européen, passé de 35c à plus de 60c par Kwh en deux ans, s’est aussi traduit par une envolée des exportations. Sur les trois derniers mois, elles ont atteint 20 Twh. Pour le seul mois de juin, l’excédent des échanges a dépassé 500 millions d’euros. Combien de secteurs industriels peuvent-ils en dire autant ? Les perspectives à court et à moyen terme sont tout aussi favorables car le parc nucléaire français n’a pas encore complètement retrouvé son niveau normal de production et de nouvelles fermetures de centrales sont prévues en Allemagne et bientôt en Belgique ce qui ne fera qu’accroître les exportations vers ces deux pays.
Le choix du nucléaire a longtemps fait l’objet d’un consensus politique. C’est sous la présidence de Georges Pompidou qu’il fut décidé de recourir à la technologie américaine des centrales à eau pressurisée qui furent pour l’essentiel construites durant les années 80 et 90, technologie qui fut progressivement améliorée par l’industrie française et qui a fait depuis ses preuves autant en termes de coûts de production que de sécurité. Sa contribution à la fiabilité des approvisionnements comme à l’indépendance énergétique de la France est indiscutable tout comme son rôle dans l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages et de la compétitivité des secteurs industriels fortement consommateurs d’électricité. Si le pays a l’un des plus faibles taux d’émission de gaz à effet de serre en Europe, c’est également grâce à cette source d’énergie dé-carbonée.
Comment expliquer alors le peu d’empressement et souvent le rejet de la classe politique d’une technologie qui contribue autant à la réalisation des objectifs économiques et environnementaux sur lesquels il y a pourtant un vaste consensus ? La question dépasse le cadre national puisqu’à Bruxelles, où l’on fixe des normes strictes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut se battre pour que soit admis que la construction de nouvelles centrales ou la modernisation des centrales existantes puisse bénéficier du Plan Européen en faveur de l’environnement.
Cette situation est d’autant plus paradoxale que l’on se prépare à terme à interdire la vente de véhicules utilisant des carburants fossiles et qu’en France, en particulier, on lance des programmes de rénovation thermique des bâtiments et des logements qui se traduiront inévitablement par une hausse significative des consommations d’électricité. Pourtant l’Etat hésite, temporise pour lancer l’indispensable programme de construction de nouvelles centrales, destinées à remplacer celles qui arriveront en fin de vie et, pourquoi pas, à accroître nos capacités de production.
Les pressions politiques contre ce choix stratégique majeur sont fortes et elles s’appuient sur une réalité, les difficultés rencontrées par l’EPR et sur un mythe, la contribution des énergies renouvelables, l’éolien et le solaire. Le premier argument est indiscutable mais aussi explicable : EDF n’avait pas construit de centrales depuis quinze ans quand l’entreprise décide en 2007 de lancer la construction de Flamanville. Les pertes de compétence au sein de ses équipes comme chez les sous-traitants, en particulier les fournisseurs de béton, ont été un handicap difficile à surmonter. La responsabilité en incombe au gouvernement de Lionel Jospin qui, après avoir interrompu les travaux de la centrale de Creys-Malville pour donner satisfaction aux écologistes, aurait dû décider de construire le premier EPR. Le Premier ministre ne l’a pas fait et cela ne l’a pas beaucoup servi lors de l’élection présidentielle de 2002.
La confiance excessive dans la capacité des énergies renouvelables à assurer la transition énergétique relève,elle, du mythe. Aucun pays n’est prêt à prendre des risques sur la continuité des approvisionnements d’électricité. Il faut donc que des centrales soient maintenues en état de fonctionner pour faire face aux inévitables intermittences qui interviennent en outre lorsqu’on a le plus besoin d’électricité, la nuit et l’hiver. Ces énergies sont aussi l’objet d’une double tromperie. Il faut des capacités deux fois pour l’éolien et six à sept fois pour le solaire supérieures pour assurer la même production que celle d’une centrale thermique ou nucléaire. Cela permet d’afficher des chiffres spectaculaires d’investissement mais sans rapport avec leurs contributions réelles à la production.
L’autre tromperie concerne les coûts. Si l’on veut les comparer, il faut intégrer le coût de l’intermittence : la construction et la maintenance d’unités de production capables de fonctionner quand les énergies renouvelables ne sont pas en état de produire. Les quantités d’énergie appelée sont alors telles qu’il est illusoire de penser qu’on puisse avoir un jour des capacités de stockage permettant de s’en passer, sans même évoquer le coût que pourraient représenter ces capacités si elles devaient exister.
L’indispensable transition énergétique doit être pragmatique et débarrassée de considérations idéologiques, lesquelles masquent souvent des intérêts politiques, comme la protection des mines de charbon dans des endroits stratégiques pour les gouvernements en place, dans l’ancienne Allemagne de l’Est ou en Pologne par exemple. Elle doit reposer sur un mix électrique composé de sources renouvelables intermittentes et de centrales capables de fonctionner en toutes circonstances. Pour les pays qui ne maîtrisent pas la technologie nucléaire, la priorité est de fermer les centrales à charbon et de les remplacer par des centrales au gaz naturel qui émettent beaucoup moins de CO2 et de particules nuisibles pour les facultés respiratoires des habitants. Les tensions du marché et les hausses de prix observées ne sont pas appelées à durer tant les capacités actuelles et futures de production et de transport sont en mesure de satisfaire la demande.
Pour les pays comme le France qui maîtrisent cette technologie, il ne faut plus attendre et on doit cesser de dénigrer un secteur qui apporte une contribution économique et environnementale aussi décisive. pour réussir la transition énergétique, il convient de trouver le bon équilibre dans les modes de consommation et de production d'électricité. le nucléaire y jouera inévitablement un rôle central. Mais chaque année perdue rendra cette transition plus lente et plus difficile. il est donc urgent que chacun prenne ses responsabilités.
Commentaires
Pas de commentaires.