Vous n'êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

S'inscrire

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

Les incertitudes de l'innovation

Le bref voyage de Richard Branson dans l’espace à bord d’un avion-lanceur dont il avait financé la réalisation comme le prochain séjour de Jeff Bezos, lui aussi au moyen d’une capsule dont il avait assuré la conception montre à quel point l’innovation peut engendrer des surprises. Qui aurait pu prévoir, dans les années Cinquante, que la course à l’espace entre les Etats-Unis et l’Union soviétique pourrait un jour déboucher sur la création d’activités de loisir ? Ray Bradbury, dans ses Chroniques Martiennes publiées à cette époque, imaginait plutôt au début des années 2000 une invasion de Mars par des Terriens avides de conserver sur cette planète leurs habitudes et leurs conflits.

A l’époque, c’est la volonté de puissance des dirigeants de ces pays et les enjeux militaires qui sont associés à ces innovations qui justifient des investissements coûteux. Rapidement pourtant, il faudra trouver d’autres raisons et apparait alors toute une série de projets qui ne résisteront pas longtemps aux réalités économiques. La présence de l’homme dans l’espace permettrait par exemple de fabriquer des composants aux performances exceptionnelles du fait de l’apesanteur et du vide. Cela est resté au stade du rêve. Au lendemain du second choc pétrolier, on imagine des satellites capables de capter les rayons du soleil et les renvoyer sur la Terre pour produire de l’électricité. Les études n’ont jamais abouti. En revanche, personne ne prévoit alors que ces mêmes satellites vont permettre la révolution digitale qui a transformé autant la vie des entreprises que celle des particuliers. Google n’existerait pas plus qu’Amazon sans l’exceptionnelle capacité de transmission de l’information qu’offrent les centaines de satellites qui tournent autour de la Terre.

Ces incertitudes n’épargnent pas les secteurs traditionnels. Qui avait prévu la révolution du pétrole et du gaz de schiste ? Personne. Depuis les années 70 se multiplient les études et les déclarations affirmant que l’on va bientôt atteindre un pic de production de pétrole. L’affirmation la plus spectaculaire émane du Club de Rome qui l’accompagne d’un pronostic sur la fin de la croissance mondiale. Si celle-ci a effectivement ralenti après les décennies qui ont permis la reconstruction de l’Europe, elle n’a pas disparu et continue de constituer un objectif pour les gouvernements quels que soient leur tendance politique. Le développement des nouvelles technologies y joue un rôle essentiel puisque l’on estime que seules celles-ci sont en mesure d’ouvrir de nouveaux marchés. Mais personne n’est en mesure de dire avec certitude lesquels. Cette croissance s’est accompagnée d’une hausse de la production de pétrole et de gaz, contrairement aux affirmations passées, grâce à une innovation aussi décisive qu’imprévue : la fracturation hydraulique qui permet d’extraire ces énergies fossiles à partir de gisements qu’on jugeait inexploitables. Le plafond de production annuelle de pétrole était estimé alors à 85 millions de barils par jour. Il a été largement dépassé puisque on est autour de 100 mb/j depuis plusieurs années.

Cette innovation technologique a été mise en oeuvre en Pennsylvanie et dans plusieurs Etats du sud des Etats-Unis rebaptisés, non sans humour, le Cowboyistan ». Elle fut alors accompagnée de messages alarmistes, largement diffusés par les groupes qui étaient menacés par l’apparition de ces nouveaux concurrents, au premier rang desquels figuraient les producteurs de charbon : du pétrole allait couler du robinet des cuisines et les tremblements de terre allaient se multiplier. Le postulat suivant lequel le caractère fini des ressources de la planète impliquait le plafonnement de la production fut infirmé. Si ses ressources sont finies, par définition, la capacité de l’homme à les exploiter est, elle, infinie. Le nier reviendrait à prétendre que Mozart n’a jamais existé.

La clé de la réussite d’une innovation, c’est qu’elle corresponde à un besoin, que les Etats qui la soutienne obtiennent la réponse attendue et que les entreprises qui la mettent en œuvre trouvent des clients. Pour l’espace, même si on note un regain d’intérêt des Etats pour leur prestige et plus concrètement pour l’accès à des informations stratégiques grâce aux satellites, l’enjeu est à caractère privé : transmission de plus en plus efficace des données plutôt que tourisme pour milliardaires. Cette question va devenir essentielle pour la réussite de l’une des innovations majeures attendue aujourd’hui, la voiture électrique, tant pour ses conséquences industrielles qu’environnementales. La capacité d’innovation va-t-elle être en mesure de répondre aux attentes des clients ?

Le secteur est déjà confronté aux défis posé par l’épidémie actuelle, la chute des ventes et les tensions sur l’approvisionnement des pièces. Pour offrir les véhicules conformes aux nouvelles normes européennes attendues pour 2025 et à l’interdiction de la vente de modèles équipés de moteurs thermiques prévue pour 2035 ou 2040, l’industrie automobile doit investir massivement pour produire des batteries et affronter les conséquences sociales de la fermeture des unités actuelles de fabrication de moteurs. Elle doit aussi convaincre ses futurs clients  que l’autonomie des véhicules correspond à leurs exigences. Qui est prêt à dépenser une somme importante pour une voiture qui ne lui permettrait pas de partir en vacances avec ses enfants ?  S’ils ne sont pas convaincus, les uns se protègeront en anticipant leur besoin de renouvellement et achèteront les derniers véhicules à moteur thermique encore disponibles. Les autres garderont les leurs aussi longtemps que possible ou se retourneront sur les modèles d’occasion. Les constructeurs devront alors affronter une chute de leurs ventes au moment précis où ils se seront endettés pour construire leur nouvel outil de production. Le pari technologique inhérent au véhicule électrique constitue un enjeu vital pour un secteur industriel majeur en Europe et surtout en France. Il est impossible de savoir s’il sera tenu et force est de constater que les risques d’un échec sont sous-estimés.

Ce pari n’est pas le seul car une fois une solution au problème de l’autonomie trouvée, reste celui de la recharge des batteries, à supposer d’ailleurs qu’un nombre suffisant de bornes ait été installé. Pour que la recharge soit rapide, à la fois pour faciliter les déplacements et pour permettre au plus grand nombre d’y avoir accès à l’occasion de grands déplacements, comme les week-ends ou les départs en vacances, il faudra que le réseau électrique soit capable d’acheminer la puissance demandée. Il devra donc être profondément transformé sur les territoires ruraux que traversent les automobilistes lors de leurs grands déplacements. Cela aura un coût important pour les gestionnaires du réseau. Cela posera également des problèmes de production avec l’apparition de pics de demande à certains moments de l’année qui jusqu’à présent connaissaient une baisse de la production appelée permettant de réaliser les opérations de maintenance nécessaires au bon fonctionnement et à la sécurité des centrales. On peut d’ailleurs s’attendre à une tarification des recharges fluctuant en fonction des variations de la demande ce qui ne manquera pas de provoquer des mécontentements. L’électricité sera plus chère quand on aura le plus besoin.

L’expérience du passé montre que l’appréhension de l’avenir pour des produits ou des services est d’autant plus difficile qu’il est conditionné par une rupture technologique majeure et par l’accueil du public. Les Terriens n’iront pas sur Mars. Seuls Steve Jobs et Bill Gates avaient compris que les ordinateurs deviendraient des biens de consommation courante et l’un des deux frôla la faillite. Les gouvernements devraient donc faire preuve de prudence quand ils prennent des engagements ayant sur le plan économique et social de lourdes conséquences en cas d’échec, spécialement si le succès éventuel est conditionné par une innovation et par son accueil par les personnes concernées.   

          

Commentaires

Pas de commentaires.

Vous devez vous inscrire pour poster un commentaire : se connecter