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Le blog d'Alain Boublil

 

L'impératif industriel

Quand, en 1969, Lionel Stoleru publie son livre, l’impératif industriel, il ne se doute pas à quel point la question du rôle de l’industrie dans l’économie française va devenir, durant les cinquante années suivantes, une préoccupation politique majeure. Les Trente Glorieuses sont à leur apogée. Le chômage est inexistant grâce à la croissance et surtout à un profil démographique atypique, le baril de pétrole ne coûte que quelques dollars mais l’inflation est forte. Les échanges extérieurs sont principalement consacrés à l’approvisionnement en matières premières et la mondialisation est un concept inconnu même si l’ascension du Japon dans les secteurs des hautes technologies commence à inquiéter. Il faudra attendre les dernières années de la présidence de Georges Pompidou pour que des décisions majeures sur le plan industriel interviennent, dans le nucléaire ou les trains à grande vitesse par exemple. Depuis, il ne se passe pas d’années sans qu’économistes ou dirigeants politiques ne s’inquiètent du « déclin industriel » de la France ou de sa désindustrialisation.

Le fait est que nombre de joyaux industriels du pays ont disparu ou sont passé sous contrôle étranger. Le procès est alors instruit de la mondialisation, qui serait à l’origine de ces difficultés, de l’Europe qui nous priverait des outils nécessaires à la politique industrielle et surtout du coût excessif du travail et de notre système de protection sociale. Sont rarement évoquées l’action des dirigeants de ces entreprises, où parfois l’Etat siège dans les conseils d’administrations. Les faillites du Crédit lyonnais et de Dexia, l’endettement excessif dû à des acquisitions à l’étranger de France Télécom ou encore les aventures de Vivendi sont dans toutes les mémoires et reflètent bien l’évolution des entreprises françaises à partir des années 90  mais on n’en tire aucune leçon.

Dans l’industrie, l’échec le plus emblématiques est celui d’Alcatel. Fleuron de l’industrie des télécommunications, avec des positions très fortes dans le traitement et la transmission de l’information, la France dispose à la fin du siècle dernier de l’outil industriel indispensable au développement des nouvelles technologies numériques. Pourtant elle disparait en moins de dix ans à la suite des erreurs stratégiques de ses dirigeants. Pour remplacer son président nommé dix ans plus tôt par Edouard Balladur contraint de démissionner, l’Etat soutient la candidature de Serge Tchuruk qui a fait ses preuves dans l’industrie pétrolière mais qui n’a aucune expérience des métiers de l’entreprise. Il voudra en faire une « entreprise sans usine » (2001) et se lancera dans une fusion qui se révélera désastreuse avec l’Américain Lucent (2006). Le groupe passera alors sous le contrôle de Nokia et supprimera les deux tiers de ses emplois en France, parfaite illustration de ce déclin industriel.

Comment celui-ci se mesure-t-il ? La chute des emplois industriels ne constitue pas un critère  aussi significatif qu’on le prétend. La baisse des emplois agricoles due à la mécanisation des tâches et à l’augmentation de la taille des exploitations pour maintenir leur compétitivité n’a pas affecté les performances du secteur. Il y a ensuite la baisse de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée. Mais là aussi l’indicateur traduit une évolution qui n’est pas forcément défavorable puisqu’elle mesure aussi l’ascension de secteurs qui croissent plus vite que l’industrie. La diversification de l’économie française, dans les services informatiques ou le tourisme, à la différence de l’Allemagne notamment, n’est pas en soi une mauvaise évolution. Ce niveau, même en baisse, reste par exemple, très supérieur à celui des Etats-Unis.

 Ce sont les performances consternantes et qui ne cessent de se dégrader de nos échanges extérieurs de produits industriels depuis vingt ans qui doivent alerter. Les grands groupes s’étaient restructurés puis modernisés et certains avaient été privatisés durant les années 80 et 90. Le solde extérieur était ainsi redevenu largement positif jusqu’en 2003. C’est alors qu’est intervenu le « tournant des délocalisations » dont Renault fournit un bon exemple. La fusion avec Volvo avait échoué en raison de l’opposition du gouvernement suédois à la présence de l’Etat au capital. Il n’a pas gagné au change puisqu’aujourd’hui, Volvo appartient au groupe chinois Geely. Renault a alors voulu acheter Skoda. Là, c’est le président tchèque, Vaclav Havel qui s’y est opposé et a choisi Volkswagen en assortissant sa décision d’un commentaire : « pour les fromages, je préfère bien sûr la France, mais pour l’industrie automobile, c’est l’Allemagne ». Il est difficile de ne pas se rappeler ces propos quand on voit la police nationale rouler en Skoda…

Renault s’est alors tourné vers le roumain Dacia, constructeur de  bas de gamme. Au départ, il n’était pas question d’importer ses modèles en France mais c’est pourtant ce qui est arrivé.  Dans toute l’Europe, les modèles de la marque qui faisaient sa force et ses résultats ont été mis en difficulté, l’entreprise se faisant concurrence à elle-même. Elle s’est alors tournée vers Nissan en la sauvant de la faillite, ce qui lui a fermé les trois principaux marchés mondiaux hors d’Europe, la Chine, les Etats-Unis et le Japon et l’a incité à pratiquer une politique de délocalisation massive. En moins de dix ans le nombre d’emplois et le nombre de véhicules produits en France ont été divisés par deux.

Les contraintes européennes en matière de commandes publiques ou de rapprochement d’entreprises n’ont certes pas aidé le pays qui avait toujours eu besoin de ces outils essentiels de la politique industrielle. Mais cela n’avait pas empêché de brillantes réussites dans plusieurs secteurs comme l’aéronautique, le luxe ou les produits pharmaceutiques, preuve s’il en était besoin qu’il n’existait pas une cause unique et générale à ce déclin, à savoir le coût jugé excessif du travail. Pourtant, se basant sur cette analyse trop partielle, l’Etat va procéder à des allègements fiscaux et sociaux massifs pour « rétablir la compétitivité » de l’industrie française lesquels seront financés pour moitié par des hausses d’impôt sur les ménages ce qui freinera la croissance et pour moitié par un alourdissement de l’endettement public ce qui forcera l’Etat à des restrictions dans d’autres domaines. Ce sera d’abord le « crédit impôt-recherche », pérennisé en 2004 et dont le coût de 6,6 milliards en 2020, ce qui en fait le première niche fiscale, et l’inefficacité viennent d’être dénoncés. En 2013 est ensuite instauré le coûteux CICE qui a été transformé ensuite en allègement permanent des charges sociales.

Ces mesures n’ont pas donné le résultat escompté puisque le déficit extérieur en produits manufacturés n’a cesse de s’accroître, même pendant la brutale récession consécutive à l’épidémie du covid-19. L’analyse faite par l’Etat s’est donc révélée erronée. Ce dont a besoin l’industrie française, c’est d’abord d’une profonde transformation culturelle avec une meilleure sélection de ses dirigeants, avec une évolution des relations clients-fournisseurs entre nos entreprises et avec leurs banques qui doivent donc renoncer à inciter en permanence celles-ci à faire des fusions ou des acquisitions. Le premier atout d’une entreprise, c’est sa culture et son dirigeant doit en être le porteur car son succès en dépend comme en témoignent des entreprises intervenant dans des secteurs aussi variés qu’Air Liquide, Michelin, L’Oréal ou SEB.

La capacité de la France à attirer des investissements étrangers est également essentielle et on a raison de s’en féliciter. Mais elle dépend au moins autant des compétences trouvées sur place et des infrastructures, qui sont de haute qualité que du contexte social et fiscal. Et cela ne suffira pas à endiguer le mouvement de désindustrialisation tant que les investissements à l’étranger des entreprises françaises seront supérieurs à ceux des entreprises étrangères en France.                     

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