Vous n'êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

S'inscrire

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

La mondialisation et la fiscalité

Parmi les nombreuses critiques dont fait l’objet la mondialisation, figure la possibilité offerte aux firmes internationales d’échapper largement à l’impôt en jouant sur les différences entre les régimes fiscaux des pays où ces firmes opèrent. Le problème dépasse celui des paradis fiscaux qui permit longtemps à des personnes physiques de ne pas payer leurs impôts grâce au secret que leur offraient les banques implantées dans certains pays. Si des progrès substantiels ont été accomplis pour réduire sinon mettre fin à ces pratiques, le problème reste entier pour les entreprises et les montants en jeu sont bien plus considérables.

Les ministres des finances du G7 viennent de tomber d’accord pour fixer des règles minimum d’imposition des sociétés mais on est encore loin d’avoir abouti à un résultat concret. Depuis près de dix ans, les membres de l’OCDE travaillaient sur des projets d’harmonisation fiscale. Mais même si la nécessité de trouver une solution était de plus en plus reconnue, aucune mesure concrète et significative, applicable par les pays membres, n’avait encore été adoptée.

C’est l’élection de Joe Biden qui a tout changé pour deux raisons. Il a d’abord fait revenir son pays dans  les discussions multilatérales avec lesquelles son prédécesseur avait rompu comme pour l’Accord de Paris. Il a ensuite décidé un vaste plan de relance qu’il ne peut pas financer entièrement par une augmentation de l’endettement public. Il devait trouver de nouvelles ressources politiquement acceptables comme la taxation des très grandes entreprises. Mais celles-ci échappaient largement à l’impôt en jouant sur l’optimisation fiscale. Il fallait donc mettre un terme à ces pratiques grâce à un accord avec les pays concernés.

La discussion au sein du G7 n’est qu’une étape. Les chefs d’Etat qui se réunissent cette semaine devraient donc reprendre les propositions de leurs ministres. Il faudra ensuite élargir la discussion aux principales économies du G20 puis de l’OCDE. Enfin chaque Etat devra inclure les principes négociés dans sa propre législation, ce qui sera un processus long et complexe dont personne ne peut donner le calendrier. A titre d’exemple, le plan de relance européen adopté par les chefs d’Etat à l’automne n’est toujours pas entré en vigueur car il devait être voté par le Parlement européen puis ratifié par chaque Etat.

La proposition des ministres des finances du G7 comporte deux éléments. Il s’agit d’abord de fixer partout un taux d’imposition des bénéfices des sociétés d’au moins 15%.  Ensuite, il est proposé d’aligner l’impôt payé dans un pays sur les profits réellement réalisés dans ce pays pour les très grandes entreprises lorsque leur taux de marge dépasse un certain seuil. Mais les avantages tirés de ces propositions risquent d’être illusoires. Ce qui détermine l’impôt dû, ce n’est pas seulement le taux, c’est aussi l’assiette. En France, sa définition fait l’objet de  centaines de pages dans le code général des impôts. En outre chaque loi de finances contient des nouvelles dispositions. Il est tout à fait irréaliste d’imaginer que l’on pourra aboutir à une harmonisation des assiettes de l’imposition des sociétés entre chaque pays. La seconde proposition vise principalement mais sans le dire les géants du numérique. Elle devrait être plus facile à mettre en œuvre car elle concernera un nombre restreint d’entreprises et les Etats disposent des moyens techniques pour faire appliquer le principe posé. Mais cela prendra du temps et générera beaucoup de contentieux.

Ces projets, pour une large part, relèvent d’une logique de communication. Les dirigeants politiques ne se priveront pas, à l’issue des prochaines réunions internationales, de s’en servir. Ils valoriseront auprès de leurs opinions publiques respectives, surtout en période pré-électoral, comme en France ou en Allemagne, leur engagement à trouver les remèdes aux défauts de la mondialisation. Mais il ne faut pas être naïf. A supposer que la fixation d’un taux minimum d’imposition soit finalement décidée, il faudra des années pour qu’elle soit mise en application et il faudra encore plus d’années pour qu’on en trouve le résultat concret dans les recettes fiscales des Etats qui sont victimes de ces délocalisations fiscales.

C’est pourquoi il faudra aller plus loin et cibler directement les Etats qui profitent de ces pratiques discutables au détriment des autres Etats. Le principe suivant lequel on applique des sanctions à des pays qui ne respectent pas les règles ou les conventions internationales devrait progressivement être étendu aux questions fiscales en cas de détournement manifeste de ressources. Dans l’Union Européenne, nous avons deux cas bien identifiés, le Luxembourg et l’Irlande.

Le Luxembourg s’est fait une spécialité dans la création de « sociétés-boîte aux lettres ». Elles n’y ont pratiquement pas d’activité  et se contentent d’avoir un ou plusieurs comptes en banques chargés de recevoir des rémunérations, par exemple pour l’exploitation d’un brevet ou d’une marque, provenant de leurs filiales dans les autres pays où elles sont implantées. Ces sommes seront imputées sur les comptes d’exploitation de ces filiales ce qui allègera leur imposition dans les pays où elles ont une réelle activité. Mais ces profits artificiels créés au Luxembourg, eux, ne seront pas taxés. L’Union Européenne n’a pas pu mettre un terme à ces pratiques puisqu’il faut l’unanimité pour les questions de fiscalité directe. Mais chaque société boîte-aux-lettres doit avoir un gérant. Il n’est donc pas rare qu’un gérant ait plusieurs centaines de mandats, ce qui montre bien le caractère fictif de l’activité de ces sociétés. La bonne réponse serait alors d’adopter une directive ou de faire voter par le Parlement européen un texte alignant le nombre de mandats sur celui des administrateurs de sociétés.  Le nombre de sociétés-boîte aux lettres diminuerait alors de façon spectaculaire puisqu’il faudrait recruter des  milliers de gérants, ce qui ne sera pas facile.

Le cas de l’Irlande est différent. Le niveau très bas du taux d’imposition a incité des centaines de sociétés américaines et japonaises à y localiser les profits réalisés à l’occasion de la vente de leurs produits dans l’Union Européenne. C’est particulièrement spectaculaire pour les industries électroniques et pharmaceutiques. Elles jouent sur les prix de transfert. La plupart du temps le travail réalisé en Irlande se limite à l’assemblage. Les pièces détachées et les principes actifs sont expédiés sur place avec un prix très bas et le produit final est réexporté vers l’Europe à un prix artificiellement élevé pour que l’entreprise ne réalise sur son marché final qu’un très faible profit et qu’elle n’y paye que le moins d’impôt possible. Toute la marge est faite en Irlande où elle bénéficie alors du taux d’imposition très bas sur les sociétés.

Lors de la crise de 2008, l’Irlande était au bord de la faillite et a dû solliciter le soutien des Etats-membres de la zone –euro. Mais ceux-ci n’ont pas osé faire pression sur le pays pour qu’il abandonne ces pratiques. Les tensions intervenues à l’occasion du Brexit à propos de la frontière irlandaise offrent à Bruxelles une seconde opportunité pour faire cesser ce détournement de recettes fiscales qui porte chaque année sur des dizaines de milliards.

Les réunions internationales sont utiles, et pas seulement pour permettre aux dirigeants qui y participent de se mettre en valeur. Mais en matière fiscale, elles ne seront pas suffisantes. Ce n’est qu’au travers d’actions ciblées soutenues par la communauté internationale en direction des pays qui ont un comportement fiscal contestable que l’on y mettra un terme. La lutte contre l’optimisation fiscale permettrait alors d’atténuer les critiques contre la mondialisation et renforcerait le soutien au projet européen.         

  

 

 

Commentaires

Pas de commentaires.

Vous devez vous inscrire pour poster un commentaire : se connecter