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Le blog d'Alain Boublil

 

Que veut l'Allemagne aujourd'hui ?

L’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe mettant en demeure la Banque Centrale Européenne de justifier ses décisions ne pouvait pas plus mal tomber. Cela risque d’ajouter à la crise économique sans précédent que provoque l’épidémie du corona virus et à la guerre commerciale larvée que se livrent les Etats-Unis et la Chine le troisième risque d’une crise financière en Europe. Ni l’Europe, ni le monde n’avaient besoin d’une telle initiative. Outre les inquiétudes qu'elle suscite, le fait que la haute juridiction s’attaque à la fois à la Banque Centrale Européenne, à la Cour de Justice de l’Union Européenne et à l’Union Européenne elle-même conduit à s’interroger sur les motivations réelles de l’Allemagne.

La Cour commence par sommer la BCE d’apporter la preuve, dans un délai de trois mois, que la politique conduite depuis 2015 par Mario Draghi consistant à acheter sur le marché des titres de dette publique des Etats de la zone euro pour faciliter le financement des déficits budgétaires et maintenir les taux d’intérêt à un niveau très faible est conforme à son mandat et est appropriée. Au sein du Conseil de la BCE, le président de la Bundesbank dans le passé a toujours fait part de ses réserves voire de son hostilité à cette politique. Mais Mario Draghi, fort du soutien des autres membres a poursuivi son action. Il est considéré comme le sauveur de l’euro depuis la crise déclenchée en 2012. On pourrait donc penser que la décision de Karlsruhe est une sorte de revanche de la Bundesbank qu’elle aurait elle-même suggérée puisqu’il est question de lui interdire dans l’avenir de participer au programme d’achat. Cette hypothèse ne peut être complètement écartée, car son actuel président, Jens Weidmann, s’est toujours montré très critique vis-à-vis de l’action de la BCE, même s’il n’a pas publiquement commenté la décision de la Cour de Karlsruhe 

Cette décision constitue en outre une violation caractérisée de l’indépendance de la BCE. Une juridiction, se fondant sur l’analyse économique des plaignants l’ayant saisie, s’est ainsi permis de lui demander des comptes. La BCE a été créée suivant un modèle d’indépendance calqué sur celui de la Bundesbank. Lors de la création de l’euro, Berlin voulait éviter à tout prix l’ingérence des autres Etats dans la conduite de la politique monétaire. A l’époque, la hantise de l’inflation guidait les dirigeants allemands et le mandat donné à la BCE était d’assurer la stabilité des prix. Il est difficile de prétendre que ce mandat n’a pas été respecté puisqu’on se situe aujourd’hui en Europe avec une inflation si faible que l’objectif est désormais de rechercher une hausse des prix voisine mais inférieure à 2%, objectif qui est d’ailleurs loin d’être atteint. En demandant à la BCE de justifier son action alors que le mandat a été plus que rempli, la Cour porte une  atteinte majeure à son indépendance. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a simplement répondu que l’institution poursuivrait son action dans le cadre de son mandat sans se laisser décourager.

La Cour de Karlsruhe méconnait ensuite une décision de la CJUE qu’elle avait elle-même sollicitée. La Cour européenne avait validé en 2018 l’action de la BCE et déclaré légale et conforme à son mandat la politique d’achat d’obligations. En exigeant que la BCE justifie le caractère approprié de son action, que la CJUE avait auparavant validé, elle viole un principe fondateur de l’Union, à savoir la primauté des juridictions communautaires sur le droit et les juridictions nationales dans les domaines prévus par les traités. Or le mode de fonctionnement de la BCE est régi par un Traité. Elle rend compte de son action au Parlement Européen et toute contestation relève des instances européennes, et notamment de la CJUE. Dans sa décision, la Cour allemande viole ainsi outre l’indépendance de la BCE, le principe de la primauté d’une instance communautaire, la CJUE sur une instance nationale, en l’espèce elle-même.

Mais cette décision, en s’attaquant à l’esprit même de l’Union, donne son soutien aux adversaires en Allemagne de la construction européenne. Elle a été saisie dans cette affaire  par des représentants du parti d’extrême droite anti-européen, l’AFD, dès 2015. A l’époque, leur projet était d’empêcher le sauvetage de la zone euro au travers du soutien monétaire aux pays en difficultés, avec la Grèce au premier rang mais aussi l’Irlande et l’Espagne. Mais cette force politique qui n’a cessé de progresser en Allemagne jusqu’à la crise du corona virus est beaucoup moins isolé qu’on ne le croit, surtout sur les questions européennes. L’ancien ministre des finances allemand, Wolfgang Schaüble n’avait cessé de faire obstacle à tout assouplissement des critères de Maastricht et à toute politique de relance significative au niveau européen durant son mandat. Sa réaction à la décision de la Cour de Karlsruhe est ambigüe. Il est aujourd’hui président du Bundestag et il ne peut défendre la violation du droit communautaire mais sur le fond, il l’approuve en disant que ses arguments sont difficiles à réfuter et il est suivi dans cette direction par de nombreux parlementaires de la CDU-CSU.     

Le procès fait à la BCE porte sur deux points. En maintenant les taux d’intérêt en Europe, donc en Allemagne, à un niveau aussi bas, on pénalise les épargnants et notamment les retraités qui ont souscrit à des fonds de pension. Leur rendement décline et commence à peser sur le niveau des retraites. En souscrivant indifféremment à des émissions des différents Etats de la zone euro, la BCE mutualise indirectement les dettes publiques au profit des Etats trop dépensiers et au détriment des Etats vertueux, au premier rang desquels figure l’Allemagne. C’est l’éternel débat entre les cigales du Sud et les fourmis du Nord.

Toute politique a ses inconvénients et il convient de les évaluer en fonction des avantages qu’elle procure. En l’espèce, qui peut prétendre que l’explosion de la zone euro aurait profité à l’Allemagne, à ses banques et à ses entreprises ? Et aujourd’hui, qui peut soutenir qu’il ne faut pas tout faire pour atténuer les effets de la récession sans précédent qui menace l’Europe et le monde ? Les Etats, la France et l’Allemagne notamment, ont choisi d’intervenir directement et massivement, par le biais d’annulations de charges sociales et d’impôts et d’aides directes pour permettre aux entreprises de traverser cette épreuve et aux ménages de continuer à satisfaire à leurs besoins essentiels. Cela va se traduire par des déficits publics considérables. La seule manière de rendre ces nouvelles dettes soutenables c’était de continuer à peser sur les taux d’intérêt. Qui peut contester cette évidence, surtout quand on sait que cette pratique est mise en place dans tous les autres pays affectés par l’épidémie ?

Pour les mêmes raisons, le blocage imposé par l’Allemagne et la Hollande au projet de relance européenne, proposé par la France et soutenu par plusieurs Etats, financée par des emprunts communautaires est incompréhensible. Il permettrait de réparer les lourds dommages causés par l’épidémie et de donner un exemple de solidarité, surtout quand on sait que l’Allemagne a un solde commercial excédentaire avec ses partenaires qui profite à ses entreprises et à l’emploi dans le pays.  

 Le plus grave, c’est que la crise sans précédent que connaissent l’Europe et le monde n’ait pas fait mettre entre parenthèse ces considérations égoïstes et en vérité, anti-européennes, et fait prendre conscience à l’Allemagne que le pays était en train de scier la branche sur laquelle il avait établi sa prospérité.   

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