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Le blog d'Alain Boublil

 

La croissance et les grèves

L’INSEE vient de publier sa première estimation de la croissance de l’économie française au 1er trimestre. Le résultat a été très décevant. Alors que les dernières prévisions faisaient état d’une augmentation du PIB de 0,2 ou 0,3% du PIB, la production a reculé de 0,1%, C’est la première baisse observée depuis quatre ans. Elle est certes symbolique puisque la précision des chiffres n’est pas suffisante pour parler d’un véritable recul voire d’une récession. Mais elle constitue un échec pour un gouvernement qui a fait du retour de la croissance sa priorité à travers une politique économique visant à favoriser la compétitivité des entreprises. Il n’est donc pas surprenant qu’il attribue cette situation aux mouvements sociaux qui se sont déroulés à partir du mois de novembre contre le projet de réforme des retraites, explication qui a été largement reprise par les commentateurs. Qu’en est-il véritablement ?

L’examen des chiffres publiés permet sérieusement d’en douter. La consommation des ménages ne semble pas avoir été affectée. Elle a augmentée de 0,2%, contre 0,4% et 0,3% durant les deux trimestres précédents. C’est pourtant ce poste qui aurait dû être le plus touché, les familles ayant de la peine à se déplacer pour faire leurs courses, aller au restaurant ou rejoindre leurs proches pour les fêtes de fin d’année. Les médias avaient pourtant insisté sur les perturbations engendrées par les grèves dans les transports et les baisses de recettes des commerçants en fin d’année ainsi que sur les pertes de salaires subies par les grévistes. Il ne semble pas que cela ait eu les conséquences attendues. En revanche, les investissements des entreprises ont nettement ralenti : +0,3% contre une hausse moyenne supérieure à 1% depuis le début de l’année. Mais là aussi, mettre ce brusque ralentissement sur le dos des grèves n’est pas crédible quand on connait les procédures de décision dans les entreprises. C’est en général, surtout pour les projets importants, le résultat d’un long processus. Le freinage a dû être décidé au mois de septembre au plus tard et donc sans rapport avec la détérioration du climat social.

La même analyse s’applique aux investissements des ménages et des administrations publiques. La baisse des mises en chantier de logements, qui constituent l’essentiel des investissements des ménages a commencé dès la fin de l’année 2018, malgré la persistance de taux d’intérêt très faibles. Quant à la stagnation des investissements des collectivités locales, elle est traditionnelle à la veille des élections municipales. On constate alors un gel des nouveaux projets pour ne pas susciter le mécontentement des électeurs gênés par les travaux, comme à Paris, par exemple.

Autre déception sans aucun rapport avec les mouvements sociaux, la contribution du commerce extérieur à la croissance a été nulle, ce qui constitue certes un progrès par rapport aux trois trimestres précédents où elle a été en moyenne négative à hauteur de 0,2%. On pourra toujours invoquer la détérioration de l’environnement international, la perspective du Brexit, les mauvaises performances de l’économie allemande qui a frôlé la récession au 2ème semestre ou les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine. Il n’en demeure pas moins que toute la stratégie économique mise en place depuis 2013 reposait sur un allègement massif des charges des entreprises afin de rétablir leur compétitivité ce qui leur permettrait de reconquérir des parts de marché, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières. Les résultats n’ont pas été au rendez-vous au 4ème trimestre pas plus que lors des trimestres précédents.

Enfin le facteur le plus déterminant dans la performance décevante de l’économie française au 4ème trimestre a été le mouvement de déstockage qui a contribué de façon négative à hauteur de 0,4% au résultat total. La cause est double. Il y eu probablement des livraisons importantes d’Airbus et de navires en fin d’année. Leur valeur s’est retrouvée dans le calcul total de la production industrielle, ainsi artificiellement relevé, et un ajustement à la baisse, qui a été continu depuis le deuxième trimestre, des anticipations des entreprises sur leurs perspectives de vente. La croissance de l’économie française avait été dopée, notamment au début de l’année par ces anticipations mais l’ajustement a dû être opéré dans les entreprises à la fin de l’exercice. Les tendances de la production au cours de l’année 2019 vont pénaliser les comptes en 2020 car l’acquis de croissance sera très faible et les prévisions du gouvernement qui n’avait pas intégré ce retournement de la conjoncture risquent fort de devoir être révisées à la baisse. Il est probable que celui-ci invoquera à nouveau la crise sociale qui affecte le pays pour se décharger de toute responsabilité dans ce qui constitue un échec et ne pas remettre en cause le raisonnement qui sous-tend sa stratégie économique.  

Le seul signal positif concerne l’emploi mais l’interprétation qui en est faite est incomplète. La baisse du nombre de demandeurs d’emplois au 4ème trimestre en France métropolitaine qui vient d’être rendue publique, soit 56 000 et au total pour l’année 2019, 107 000 est à l’évidence une bonne nouvelle mais elle résulte plus d’un changement au sein du marché du travail que de l’amorce d’un cercle vertueux de nature à alimenter la consommation, l’investissement et à la fin, la croissance. Il reste aussi qu’avec 3,3 millions de chômeurs, la France est encore très loin d’avoir retrouvé un niveau et une qualité d’emploi satisfaisante. D’ailleurs, si tel était le cas les résultats économiques d’ensemble de l’année 2019 seraient bien meilleurs. Les créations d’emplois sont aussi en forte progression mais elles sont concentrées sur des contrats courts. Cela ne donne pas aux salariés une confiance suffisante dans l’avenir pour consommer ou investir dans l’achat d’un logement ou dans des travaux d’isolation par exemple. La nature de ces emplois est liée aussi aux changements de la société avec par exemple la multiplication des agents de sécurité ou des livraisons à domicile qui résultent du développement des achats sur Internet, depuis les livres et les objets du quotidien jusqu’aux repas. Ces mutations ont été encouragées sinon provoquées par les ajustements du code du travail sous prétexte d’assurer aux entreprises une plus grande souplesse mais cela a abouti à un développement sans précédent de la précarité et à une stagnation des salaires réels, elle aussi peu favorable à la croissance.       

Au total, les grèves n’ont pas été la cause du fort ralentissement de l’économie française et de ses performances décevantes. Le plus inquiétant, c’est que les chiffres du 4ème trimestre traduisent une tendance durable à la stagnation, en contradiction complète avec les objectifs et surtout avec le discours officiel, ce qui ne devrait pas faciliter la réduction des déficits publics.

Faire porter la responsabilité de ses échecs sur ses adversaires n’est pas nouveau en soi. C’est même une règle non écrite de la politique. Mais quand l’usage de cette règle résulte du déni, du refus de comprendre que la politique suivie ne peut donner les résultats escomptés, elle risque de conduire le pays dans une situation de crise qui débouche alors sur la tentation du populisme ou des solutions extrêmes. Faire porter la responsabilité de l’échec des politiques conduites aux mouvements sociaux, c’est confondre les causes et les conséquences car ces mouvements sociaux résultent précisément de l’échec des politiques menées.