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Le blog d'Alain Boublil

 

L'Allemagne, 30 ans après (suite)

Dans quelques jours sera célébré le trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989. Le régime est-allemand était déjà fragilisé par les manifestations se tenaient chaque semaine à Leipzig. Pendant l’été, l’Autriche avait ouvert sa frontière pour permettre à ceux qui le souhaitaient de rejoindre l’Allemagne de l’Ouest. Le spectacle de la prospérité de leurs voisins qu’ils observaient chaque soir à la télévision était révélateur, plus que n’importe quel discours politique, de l’échec du communisme. La chute de ce symbole qui coupait la capitale allemande en deux était inévitable comme la réunification qui s’ensuivit. Il faut néanmoins chasser de nos mémoires deux légendes qui se répandirent alors.

La première, c’est que la France, en la personne de François Mitterrand, était hostile à la réunification. Il a, au contraire, permis à celle-ci de s’effectuer, sans tension internationale, ce qui était loin d’être évident. Des dizaines de milliers de soldats soviétiques étaient en garnison à Berlin et aux alentours. L’intégration d’une Allemagne réunifiée dans l’OTAN était  difficile à accepter par Moscou. Il fallait aussi que le peuple est-allemand soit consulté démocratiquement. En mettant comme condition que la réunification soit en outre pacifique, la France obtenait de l’Allemagne la reconnaissance de la frontière Oder-Neisse avec la Pologne. La discussion fut vive avec Helmut Kohl, mais François Mitterrand réussit à le convaincre. Il fallait enfin ancrer l’Allemagne dans l’Europe. Le projet d’une monnaie unique qui était en gestation depuis l’instauration du marché unique, allait déboucher sur le Traité de Maastricht deux ans plus tard et la création de l’euro. La vérité, c’est que la seule personne qui fit tout pour bloquer la réunification allemande, ce fut Margaret Thatcher. Elle se rendit même à Moscou pour convaincre Gorbatchev de s’y opposer.

La seconde légende concernait le risque d’accroissement de la domination industrielle de l’Allemagne. L’Allemagne de l’Est avait la réputation d’être le champion des pays communistes dans ce domaine. La réunion des deux appareils de production inquiétait les autres pays européens. La réalité fut tout autre. L’industrie est-allemande était dans un état désastreux avec une faible productivité, des usines vétustes et polluantes fournissant des produits de mauvaise qualité. La comparaison entre les Trabant qui circulaient dans Berlin et les Volkswagen montrait le fossé entre les deux parties de l’Allemagne réunifiée. Cette situation fut aggravée par la décision désastreuse d’offrir aux Allemands de l’Est la parité pour convertir leurs « ost-marks » en marks. Cela accéléra la fermeture des usines. Dix ans plus tard, le taux de chômage dépassait encore 18%.

Pendant toute cette décennie, la croissance allemande fut inférieure à celle de la France et le pays dut dépenser des sommes considérables pour tenter de moderniser les nouvelles provinces et combler l’écart avec celles de l’Ouest. Il fallait aussi stabiliser les flux migratoires entre les deux parties du pays. Quand ceux-ci reprirent de plus belle à partir de l’an 2000, le gouvernement social-démocrate de Gerhard Schroeder lança une profonde réforme du marché du travail avec des conditions d’accès au chômage bien plus strictes et l’obligation d’accepter des contrats de travail courts et faiblement rémunérés, les fameux mini-jobs. Le but recherché n’était pas d’améliorer la compétitivité allemande, comme on le croit toujours en France, car la question ne se posait pas à l’Ouest où des salaires élevés et des emplois durables étaient considérés comme un atout. Il fallait dissuader ceux qui ne trouvaient pas de travail à l’Est de venir dans les villes prospères de l’Ouest tout en profitant d’indemnités généreuses. Cela inquiétait les socio-démocrates car les nouveaux venus votaient massivement en faveur des chrétiens démocrates ou restaient fidèles à leurs convictions d’extrême-gauche.

Ce résultat fut atteint mais au prix d’un accroissement des inégalités entre les deux parties du pays et une élévation spectaculaire du taux de pauvreté, aujourd’hui nettement supérieur à ce que connait la France, par exemple. Sur le plan politique, les socio-démocrates n’en ont tiré aucun avantage puisqu’ils n’ont plus gagné une seule élection nationale depuis. Mais l’économie allemande, grâce à la solidité de son industrie et à la bonne stratégie suivie par ses entreprises avait réussi jusqu’à une date récente à conserver une trajectoire économique qui faisait l’envie de ses voisins. Elles conservaient l’essentiel de la valeur ajoutée sur le territoire national tout en accroissant leur présence commerciale, notamment en Chine, pour exporter. C’était le triomphe du « modèle allemand », ressenti particulièrement en France où il était systématiquement cité en exemple. Il n’est d’ailleurs pas excessif de considérer que le programme de réformes du gouvernement aujourd’hui s’inspire des réformes Schroeder, sans en avoir compris la réelle motivation et surtout les conséquences sociales.

Mais le modèle trouve aujourd’hui ses limites. L’économie allemande n’est pas suffisamment diversifiée et repose trop sur ses secteurs industriels traditionnels. La valorisation de ses entreprises en subit les conséquences. Il n’y a qu’un groupe allemand, SAP, dans l’indice DAX 30 qui vaut plus de 100 milliards d’euros. Dans le CAC 40, il y an a cinq, LVMH, L’Oréal, Total, Sanofi et Airbus.  La crise qui frappe son industrie automobile est intervenue dans un contexte de ralentissement économique global et de montée des tensions protectionnistes. La croissance est maintenant quasiment nulle. La chute de la démographie a un avantage : elle rend le plein emploi plus facilement accessible. Mais elle pèse sur la demande intérieure et conduit à un vieillissement de la population inquiétant pour les finances publiques et les systèmes de retraites. La solution un moment imaginée, le recours massif à l’immigration, s’est révélé impopulaire et le gouvernement a dû reculer. Ce nouveau contexte n’est pas sans conséquences politiques et il a provoqué une montée des mouvements populistes au détriment des partis traditionnels, la CDU-CSU et le SPD. Après les élections générales de 2017, il a fallu quatre mois pour constituer un gouvernement, les deux partis de la grande coalition n’obtenant pas pour la première fois à eux seuls la majorité au Bundestag.

Le ressentiment est encore plus marqué dans les régions est-allemandes où on assiste à chaque élection régionale à une poussée du parti d’extrême droite, l’AfD ou de son homologue de gauche, Die Linke. Lors des trois derniers scrutins, en Saxe, dans le Brandebourg et en Thuringe, l’AfD a obtenu environ 25% des voix, se classant premier ou deuxième. Le SPD a quasiment disparu, sauf dans le Brandebourg et Die Linke a obtenu 26% des suffrages en Thuringe. En Allemagne de l’Ouest, Die Linke est inexistant mais l’AfD est partout en forte progression. L’entêtement de Berlin à vouloir accumuler des excédents budgétaires et commerciaux exclut pour l’instant toute politique de relance, malgré les pressions de ses partenaires européens. Le pays n’est donc pas près de retrouver un rythme de croissance suffisant pour atténuer les tensions sociales. Il y a alors peu de chances que les tendances politiques récentrs s’inversent, surtout à l’Est. Ce ne sera pas sans conséquences sur le résultat des élections générales qui se tiendront dans deux ans.

 On assisterait ainsi à un étonnant renversement de l’histoire. Il y a trente ans, le voisinage d’une Allemagne de l’Ouest prospère avait conduit les Allemands de l’Est à se soulever et à mettre un terme au régime qui les gouvernait. Aujourd’hui, ce qu’il faut bien appeler l’échec de la réunification favorise la montée des partis populistes dans les régions de l’ancienne Allemagne de l’Est au détriment des formations politiques traditionnelles au risque de déstabiliser le pays en le rendant ingouvernable.

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