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Le blog d'Alain Boublil

 

La crise du modèle français

Les résultats médiocres de la croissance française au 2ème trimestre que viennent de confirmer les chiffres du commerce extérieur et de la production industrielle au mois de juin devraient conduire à s’interroger sur le bien-fondé des choix économiques du gouvernement. Ils s’inscrivent dans la continuité de ceux opérés depuis une dizaine d’années et on peut les résumer ainsi : la France doit procéder à des « réformes de structure » de son modèle économique et social en réduisant le coût du travail, en accroissant la flexibilité de l’emploi et en limitant les transferts sociaux qui pèsent trop sur les finances publiques et qui confèrent au pays le privilège contestable d’avoir l’un des taux de prélèvement obligatoire le plus élevé au monde.

Cette politique a été mise en œuvre. Les allocations familiales et les avantages fiscaux offerts aux familles ont été réduits. Le pouvoir d’achat des retraites a baissé du fait de leur désindexation et des prélèvement nouveaux (hausse de la CSG) qui ont été instaurés. Le niveau du salaire minimum a été gelé pendant plusieurs années. En même temps l’Etat a allégé à hauteur de plusieurs dizaines de milliards les charges fiscale et sociale pesant sur les entreprises. L’impôt sur le revenu a été augmenté et l’ISF remplacé par l’IFI. Un prélèvement forfaitaire de 30% sur les revenus financiers a été créé au bénéfice des contribuables dont le taux marginal d’imposition des revenus était supérieur à ce seuil. Enfin, différentes dispositions à caractère législatif ont été adoptées ou sont en cours de discussion pour réduire les avantages statutaires dont bénéficient les salariés de l’Etat ou de certains services publics comme la SNCF et réformer l’assurance chômage dans un sens moins protecteur. Cette succession de mesures répondent toutes à la même logique : le modèle français issu des grands textes de l’après-guerre, donc de « l’ancien monde », n’est plus adapté au « nouveau monde » et constitue un obstacle à la réussite économique du pays.

Les piètres résultats que cette politique a obtenu depuis sa mise en œuvre conduisent ceux qui la soutiennent à demander d’aller plus loin encore pour qu’elle délivre les résultats escomptés et ceux qui la combattent à demander qu’on en change. Ce débat porte sur une question essentielle : comment répartir au mieux la richesse créée chaque année sans que cette répartition affecte la capacité d’un pays à créer cette richesse. Depuis l’effondrement du communisme, qui estimait que c’était à l’Etat de tout faire, produire, investir, distribuer, deux modèles coexistent dans les pays développés. Il y a d’abord le modèle néo-libéral anglo-saxon hérité des réformes Reagan-Thatcher où l’Etat n’a pas à intervenir sur la répartition de la richesse. Quand la croissance est insuffisante, la hausse des dépenses publiques ou la baisse des impôts jouent un rôle de stimulant. Les déficits engendrés par cette politique ne sont pas considérés comme une menace grâce au rôle du dollar et à la tradition libérale du Royaume-Uni. Les investisseurs internationaux financent donc ces déficits. Cette situation connait pourtant ses limites comme la crise des « sub-primes » l’a montré et il ne répond plus aux exigences des populations qui, devant la montée des inégalités ou l’appauvrissement de régions entières, font des choix politiques extrêmes comme en témoignent l’élection de Donald Trump ou le vote du Brexit.

Le deuxième modèle est le modèle européen où la nécessité d’une intervention pour aboutir à une meilleure répartition s’est imposée mais sous des formes différentes. En Allemagne, c’est dans l’entreprise, là où la richesse est créée qu’une négociation entre les parties prenantes s’instaure pour aboutir à « une prospérité partagée » pour reprendre le terme de Ludwig Erhard. Les organisations syndicales siègent dans les organes de direction des grandes entreprises. Dans les entreprises familiales ce n’est pas obligatoire mais leur culture profonde permet d’aboutir au même résultat, à savoir un partage équitable avec les salariés. Ceux-ci bénéficient de rémunérations élevées, ce qui n’a pas nuit, au contraire, à la compétitivité des entreprises puisque la qualité du travail fourni et l’engagement personnel de chaque salarié étaient des facteurs déterminant pour la qualité des productions et la conquête des clients. Ce modèle trouve pourtant ses limites avec les difficultés persistantes observées dans certaines régions de l’ancienne Allemagne de l’Est et avec le déclin démographique et le recours à l’immigration mal accepté par la population. La gestion rigoureuse des finances publiques prive en outre l’Etat d’un outil essentiel et le pays pourrait connaître une récession cette année.

Le choix français était, à l’origine, différent : l’Etat intervenait pour permettre une meilleure répartition des richesses par le biais de la redistribution mais cela alourdissait les prélèvements obligatoires et a conduit à une dette publique proche de 100% du PIB. Au lieu de se rapprocher du principe allemand de prospérité partagée et de faire de l’entreprise le lieu principal où s’opère la juste répartition de la richesse créée, les gouvernements successifs depuis près de dix ans ont choisi la voie opposée. La dénonciation permanente du coût du travail, la précarisation accrue des emplois, les transferts fiscaux et sociaux massifs opérés en faveur des entreprises et au détriment des ménages et de l’Etat, forcé de compenser par de nouvelles dépenses les effets d’une action anxiogène, ont constitué le fondement d’une politique qui n’a pas réussi à placer le pays sur la voie d’une croissance suffisante. Elle n’a pas davantage permis, alors que c’était son principal objectif, de rétablir le compétitivité des entreprises comme en témoigne le lourd et persistant déficit commercial qui affecte le pays.

Le chômage est donc resté très élevé, même s’il commence à se réduire. Parmi les pays du G7, il n’y a que l’Italie qui fait moins bien. La baisse récente est insuffisante et surtout trop lente pour qu’un renversement des anticipations des agents économiques intervienne, pour que les ménages inquiets pour leur emploi comme pour leur retraite future cesse de thésauriser et pour que les entreprises investissent et accroissent leurs capacités de production. La publication par l‘INSEE d’une baisse du taux de chômage à 8,6% et d’un nombre de chômeurs de 2,4 millions à la fin du deuxième trimestre ne doit pas faire illusion. Si la tendance à une lente réduction est indiscutable, les niveaux relèvent d’une définition très restrictive. Le nombre de demandeurs d’emplois recensés par Pôle Emploi est voisin de 3,5 millions. Pour expliquer cette différence, l’INSEE a inventé un concept de « halo ». En ajoutant aux chômeurs estimés par ses enquêtes 1,5 million de personnes, on retrouve un niveau comparable à celui du Ministère du Travail. Ces chiffres masquent en outre une tendance lourde, la très forte croissance des contrats de travail de courte durée qui accroit le caractère anxiogène des réformes mises en place ou en cours de discussion.

Les gouvernements depuis dix ans ont commis une double erreur, sur le diagnostic comme sur les remèdes. Ce sont les stratégies de délocalisation et d’investissement massifs à l’étranger qui ont pesé sur l’économie, comme en témoigne par exemple l’industrie automobile, et non un modèle social trop généreux ou rigide. Les remèdes mis en place ont aggravé la situation en créant une inquiétude généralisée et une perte de confiance dans l’avenir. Ce n’est pas en alourdissant le poids de la redistribution et en poursuivant une politique anxiogène que la France sortira de ses difficultés. Les mouvements sociaux qui affectent le pays depuis l’automne en témoignent et ils pourraient s’étendre à la rentrée.

 

 

 

 

 

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