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Le blog d'Alain Boublil

 

Croissance : le nouveau mal français

L’INSEE vient de publier sa première estimation de la croissance de l’économie française au 2ème trimestre. Avec 0,2%, le chiffre est inférieur aux « attentes », qui tablaient sur 0,3%, chiffre lui-même bien peu ambitieux. C’est le sixième trimestre consécutif où celle-ci est inférieure à 0,5%, soit au rythme annuel de 2%. Ce niveau n’a été dépassé qu’une fois en dix ans, en 2017, lorsque, disait-on à l’époque, les « planètes étaient alignées ». Le prix du pétrole et les taux d’intérêts étaient bas et l’environnement international favorable. Si les cours de l’or noir ont remonté, tout en restant très loin de leur plus haut historique (65$ face à 125$), les taux d’intérêt sont encore plus bas et pour l’Etat, négatifs pour les échéances jusqu’à douze ans. L’environnement international s’est dégradé avec les tensions commerciales découlant de la politique américaine et la perspective d’un Brexit sans accord qui impacterait les relations avec un des rares pays avec lequel la France a un excédent. Mais cela ne change rien au fait que l’un des objectifs et la justification de la politique menée depuis près de dix ans était de rétablir la compétitivité de l’économie française pour réduire son déficit extérieur et doper sa croissance et qu’il n’a pas été atteint.

Depuis le début de l’année, la contribution du commerce extérieur à la croissance est nulle. Elle évolue au gré des livraisons des Airbus ou des paquebots construits à Saint-Nazaire. Lorsqu’ils sont achevés, mais pas livrés, ils gonflent les stocks donc la croissance. Au moment de leurs livraisons, ils sont enregistrés dans les exportations, ce qui fait apparaître une contribution positive mais éphémère du commerce extérieur à la croissance mais la baisse stocks qui en résulte joue en sens inverse. En l’absence d’effets stimulant venant du commerce extérieur, c’est bien la demande intérieure qui reste le principal facteur de croissance. Là non plus, l’action du gouvernement qui s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs n’a pas obtenu les résultats escomptés car les ménages comme les entreprises, n’ont pas réagi dans le sens qui était attendu. Quant à l’Etat et aux collectivités territoriales, ils sont tiraillés entre les exigences de réduction du déficit et de l’endettement public et la nécessité de répondre aux conflits sociaux qui se sont multipliés depuis le début de l’année.

La première déception vient de la faiblesse de la consommation des ménages malgré les efforts, certes récents, en faveur du pouvoir d’achat, qui avait été malmené depuis deux ans. Les ressources nouvelles dont ils ont bénéficié ont été essentiellement consacrées à une thésaurisation de précaution. On ne dispose pas encore des chiffres du deuxième trimestre de cette année mais leur taux d’épargne financière est passé du troisième trimestre 2018 au premier trimestre 2019 de 3,9%, conforme aux tendances passées, à 5,4%. C’est doublement paradoxal. Dans un contexte de rémunération quasiment nulle des dépôts, on aurait dû assister soit à un transfert vers les marchés d’actions, qui n’est pas intervenu, soit à un intérêt accru pour l’acquisition de logements. Or le nombre de mises en chantiers est en baisse depuis un an ce que reflète la baisse du taux d’épargne non financière passé de 10,3% à 10% sur la période.

Un second facteur explique la tendance décevante de la consommation. L’inflation, certes  faible, autour de 1%, affecte de façon  différente les ménages en fonction de leur revenu car elle est en réalité une moyenne entre les prix des produits alimentaires, de l’énergie et de certains services essentiels comme les loyers qui connaissent une hausse bien supérieure, comme l’électricité, et les prix des produits industriels ou d’autres services qui sont eux en baisse. De ce fait, les ménages modestes ne connaissent pas de véritable hausse de leur pouvoir d’achat alors que les ménages plus aisés affectent ces nouvelles ressources à une épargne de précaution car ils craignent pour leur avenir. C’est le résultat d’une politique fondamentalement anxiogène. Toutes les réformes proposées et le plus souvent adoptées ont pour objet d’accroître les différentes formes de précarité ou de faire peser des menaces sur l’avenir, comme pour les retraites. Cette forte hausse de l’épargne de précaution est une réponse logique mais elle affecte la demande intérieure, donc la croissance.

Du côté des entreprises, les résultats sont tout aussi décevants. Elles ont pourtant bénéficié de transferts financiers considérables depuis six ans à travers la baisse de l’impôt sur les sociétés et surtout les allègements de charges sur les salaires. Mais ces ressources ont surtout permis d'accroître leurs marges qui ont atteint un niveau élevé au 1er trimestre de cette année (32,6%) comme leur taux d’autofinancement (99%). Une part non négligeable a aussi été consacrée aux distributions de dividendes et à des acquisitions à l’étranger. La reprise des investissements depuis un an ne doit pas faire illusion car ceux-ci étaient à un niveau faible et concernent rarement des augmentations de capacités de production. Cela ne sera pas suffisant pour réduire le déficit extérieur et créer des emplois durables.  

Quant à l’Etat, il n’a pas atteint ses objectifs en matière de réduction des déficits et d’endettement. Le projet de revenir à l’équilibre en 2022 a été abandonné sans pour autant que ces dépenses se traduisent par des investissements publics suffisants, bien qu’en hausse depuis un an, pour soutenir la croissance et l’emploi. La pression sur les finances publiques reste forte alors même que Bercy s’ingénie à profiter le moins possible de la baisse des taux d’intérêt et continue à émettre des obligations à des conditions très largement supérieures à celles du marché, comme le 1er août, avec un emprunt au taux de 4,75% à échéance en 2035. Le taux du marché ce jour-là était de 0,17%. Ce placement va rapporter à lui seul une prime de 1,3 milliard qui va gonfler sa trésorerie mais qui pèsera sur les soldes budgétaires des années suivantes.

Le résultat de cette politique, c’est un échec patent dans la réduction du chômage même si le nombre de créations d’emplois est en hausse. Mais c’est illusoire du fait de l’explosion du nombre de contrats courts et même très courts, avec une durée parfois inférieure à un mois. Si la même personne obtient quatre contrats dans l’année, il est difficile de prétendre que quatre emplois ont été créés sur le période. Le taux de chômage, en légère baisse, n’est pas non plus très significatif. Il reflète souvent, quand le niveau du chômage est élevé, le découragement d’une partie de la population qui se retire ainsi du marché du travail. L’indicateur le plus significatif est bien le nombre de demandeurs d’emploi n’ayant aucune activité. Il restait proche de 3,5 millions à la fin du mois de juin, soit un niveau supérieur à ce qu’il était en 2012, quand les grandes orientations de la politique économique ont été arrêtées puis  poursuivies et même renforcées. Le constat est encore pire quand on ajoute ceux qui exercent une activité à temps partiel et qui recherchent un poste à temps plein. Leur nombre a dépassé 5,5 millions soit un million de plus qu’en 2012.

Quand la politique suivie ne donne aucun des résultats attendus, on peut tomber dans le déni et repousser les objectifs vers un horizon de plus en plus lointain. On se réfugie alors dans la communication. Mais on peut aussi en changer. Ce serait la meilleure solution pour rompre avec ce nouveau mal français et renouer avec la croissance, seule capable de rétablir les grands équilibres et la paix sociale.   

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