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Le blog d'Alain Boublil

 

Pékin-Washington : la longue marche

Pendant qu’à Paris, on disserte sur l’ordre d’arrivée des listes aux élections européennes et qu’à Bruxelles, on se demande comment va fonctionner l’institution avec la fragmentation des forces politiques appelées à siéger, à Pékin comme à Washington, on réfléchit aux nouvelles étapes possibles dans l’escalade des tensions entre les deux pays. Le mode de communication de leurs dirigeants reflète leurs différences culturelles. Le président américain alterne les « tweets » vengeurs dénonçant l’attitude des autorités chinoises et les propos conciliants expliquant qu’à la fin, on trouvera un bon accord. Comme cela, si cela aboutit, il pourra se prévaloir du succès et expliquera qu’il l’avait prévu et dans le cas contraire, il pourra en rejeter la responsabilité sur Pékin. Du côté chinois, on reste calme, on communique le moins possible mais on réplique en rendant coup pour coup, tout en évitant de provoquer l’irréparable. La multiplication des sujets de confrontations entre les deux pays rend la conclusion d’un accord longue à obtenir. 

Le premier terrain d’affrontement a concerné les échanges commerciaux avec l’instauration de droits de douanes. Les marchés financiers, inquiets au début, semblent avoir intégré le fait que les conséquences pour les entreprises seront moins lourdes que prévues initialement. Les échanges entre les deux pays représentent moins de 5% du commerce mondial.  Si un haut niveau de taxes est instauré et maintenu, ce seront les consommateurs américains qui paieront l’addition à travers une hausse du prix des produits visés. Les chaines d’approvisionnement des grandes entreprises sont si complexes et intégrées qu’elles réfléchiront avant de rapatrier sur le sol américain la production de biens taxés. Il sera bien plus facile de répercuter le coût des droits de douanes sur leurs clients. En outre, comme le montre la demande conjointe d’Adidas et de Nike faite à Donald Trump de renoncer à ces taxes, les entreprises d’un même secteur ont adopté des stratégies d’approvisionnement identiques. Elles éviteront de se lancer dans une guerre des prix. L’administration américaine, comme les marchés financiers, semblent donc avoir compris que les conséquences d’un échec des discussions seront moins graves qu’attendues mais que les Etats-Unis seraient plus pénalisés que la Chine. Pour sortir de cette situation, il suffira de trouver, sur quelques sujets ponctuels des concessions de Pékin pour qu’un terme soit mis aux tensions commerciales, sans que personne ne perde la face.

Un deuxième terrain concerne la compétition technologique avec les attaques américaines contre Huawei. Le caractère incontournable de l’entreprise chinoise dans la mise en place des réseaux 5G qui permettront de transférer des données plus vite et en plus grande quantité, inquiète. Les Etats, du fait de la présence de composants chinois dans les réseaux, redoutent de ne plus pouvoir garantir le secret de leurs échanges et, pire encore, être l’objet de cyber-attaques. La décision d’interdire aux entreprises américaines et aux  entreprises étrangères incorporant plus de 25% de composants américains de fournir Huawei,  affaiblira le groupe chinois qui importe beaucoup de semi-conducteurs. Mais cela incitera la Chine à devenir à terme auto-suffisant et, dans le pire des scenarios, à instaurer des mesures de rétorsion. Le pays à une position dominante dans les terres rares. La visite du président Xi Jinping dans une mine qui les extrait n’est pas un hasard. Des restrictions d’exportations affecteraient tout le secteur. C’est bien pourquoi l’Association américaine des  producteurs de semi-conducteurs a mis en garde la Maison Blanche. Si la guerre commerciale heurtera surtout les consommateurs, la guerre technologique a toutes chances d’affaiblir les entreprises américaines et d’encourager la Chine à développer ses propres outils. La puissance industrielle du pays en serait renforcée dans l’avenir, ce qui est contraire à l’objectif recherché.

Après les affrontements commerciaux et technologiques, la finance, à travers les taux de change et le financement des déficits américains peut devenir un nouveau terrain de tension. Il y a dix ans, la Chine a décidé de transformer sa monnaie, le yuan, pour en faire une devise internationale qui jouerait pour le pays le rôle que le dollar joue pour l’économie américaine. Plusieurs étapes ont été franchies dans ce processus : levée progressive des différents contrôles des changes, libéralisation et ouverture des marchés financiers chinois, gestion de la parité du Yuan contre le dollar. Cette marche n’a pas été de tout repos. Durant l’été 2015, une mauvaise interprétation des décisions de la banque centrale chinoise a failli provoquer un krach boursier majeur dans le pays. Les leçons ont été tirées et la devise chinoise a été incluse dans le panier des monnaies de réserves du FMI en 2016, ce qui a constitué la reconnaissance par la communauté internationale de la volonté du pays d’internationaliser sa monnaie. Cette ambition a été confortée par le constat que le statut du dollar conférait une vaste extraterritorialité à la justice américaine et par le contexte de guerre commerciale et technologique qui règne aujourd’hui. Un troisième volet pourrait-il s’ouvrir dans la confrontation entre les deux pays ?

Pour neutraliser une partie des conséquences des droits de douane imposés à ses exportations, Pékin pourrait provoquer une baisse du Yuan. La devise chinoise a été relativement stable depuis le début de l’année, oscillant entre 6,70 et 6,80 Yuans pour un dollar. Depuis une semaine, et avec le regain de tension, elle est descendue jusqu’à 6,90 et s’approche du seuil de 7,0, jugé symbolique par les marchés des changes. Il est pourtant peu probable que la baisse s’accentue car un pays fort, et telle est l’ambition de la Chine, ne saurait avoir une monnaie faible. L’autre arme possible d’une éventuelle guerre monétaire serait la vente progressive des Bons du Trésor américains accumulés depuis vingt ans par la Banque centrale chinoise. Le pays a dépassé le Japon comme premier créancier avec 1 100 milliards de dollars.

Depuis plusieurs mois, le niveau de ces actifs diminue. Ainsi, en mars, on a noté des ventes nettes pour un montant de 20 milliards de dollars. Face aux déficits intérieur et extérieur croissants des Etats-Unis, un retrait de la Chine de ce marché provoquerait inévitablement une tension sur les taux d’intérêt américains. Ce sujet est particulièrement sensible à Washington où Donald Trump s’est inquiété publiquement des velléités de la Réserve Fédérale de remonter ses taux. L’argument généralement avancé contre une telle éventualité est que la Chine étant le premier créancier des Etats-Unis, elle se spolierait elle-même en mettant son débiteur en difficulté. Cet argument n’est pas convainquant car, à partir du moment où elles revêtent un caractère très progressif et maîtrisé, ces ventes permettent aussi au pays de soutenir sa propre monnaie sur les marchés des changes et répondre aux éventuelles accusations sur la gestion de sa devise. En diversifiant ses réserves de changes, en achetant de l’or ou des titres libellés en euro par exemple, Pékin contribuerait aussi à la réduction du rôle du dollar dans les transactions internationales et recevrait certainement le soutien de nombreux pays.

En rendant visite au musée de la Longue Marche, épisode de la guerre civile chinoise durant les années Trente qui aboutit à la victoire du pays sur le Japon et à la domination du Parti Communiste, le président chinois a voulu montrer que, en bon lecteur de Lao-Tseu et de Sun Tzu, il savait où il allait et il avait tout son temps pour résoudre les conflits actuels. Une longue épreuve de force ne lui faisait pas peur. Il a un avantage sur Donald Trump qui, lui, doit se représenter devant ses électeurs dans dix-huit mois.                   

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