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Le blog d'Alain Boublil

 

Renault, Alstom et l'industrie française

Depuis une quinzaine d’années, la France se désindustrialise. Les responsables politiques, les uns après les autres ont tenté d’y remédier avec le crédit-impôt-recherche puis le CICE et enfin la reprise à partir de cette année d’une partie des charges sociales par l’Etat. L’impôt sur les sociétés qui avait rapporté environ 40 milliards en 2011 est tombé autour de 25 milliards en 2018. Cette politique a pesé lourdement sur les finances publiques parce qu’elle n’a pas bénéficié seulement à l’industrie alors qu’elle avait été conçue pour en redresser la compétitivité. La grande distribution et les banques en ont aussi profité. A cela se sont ajoutées les pratiques d’optimisation ou même d’évasion fiscale. L’Europe pas plus que l’Etat n’ont encore trouvé les moyens d’y mettre un terme même si les consommateurs ont  aussi un rôle à jouer. On ne peut pas occuper les ronds-points toute la journée et aller ensuite prendre un café ou manger un hamburger chez des champions de l’optimisation fiscale.  

Mais cette politique n’a pas donné les résultats attendus. La production industrielle a connu une croissance faible et n’a pas vraiment redémarré après la crise de 2007-2008. 800 000 emplois ont disparu en quinze ans. Le déficit commercial en produits manufacturés ne cesse de s’alourdir depuis 2005 alors que des pays aux profils très variés, comme la Suisse ou l’Italie, pour ne pas citer l’Allemagne, engrangent de larges excédents. Les Français subissent ainsi une triple peine : persistance d’un chômage élevé, baisse du pouvoir d’achat et alourdissement de leurs prélèvements. Seuls les gros patrimoines et les très hauts revenus ont été épargnés, quand ils n’ont pas été favorisés. La crise sociale majeure qui frappe la France en est la conséquence. Elle a été aggravée par le sentiment largement partagé que les vrais responsables de cette situation sont ceux qui en ont profité le plus, ces fameuses « élites mondialisées » qui contrôlent le « système ». Ce qui est arrivé chez Renault et  chez Alstom en donne une bonne illustration.

La mise en accusation au Japon de Carlos Ghosn et sa démission ont été l’occasion de dresser un portrait flatteur de son action et il a même été qualifié d’ « icône » de l’industrie française. Le traitement imposé par la justice japonaise est profondément choquant et révèle que ce pays a une culture et des pratiques qui ne correspondent pas à nos valeurs. Mais les médias ont été plus fascinés par les circonstances de sa chute que par le bilan de son action. Il a redressé Nissan et a été mal récompensé suivant le principe bien établi qui veut que ceux à qui vous avez rendu service ne vous le pardonne jamais. En revanche, son action chez Renault a été néfaste pour l’entreprise comme pour l’industrie automobile française. Jusqu’en 2005, on produisait chaque année plus de 3 millions de véhicules. En 2017, la production nationale était tombée à 1,68 million. Près des trois quarts de cette baisse sont imputables aux délocalisations de Renault, comme en Turquie où est assemblée la Clio. Le secteur a perdu près de 80 000 emplois. En 2005, le solde exportateur de la filière incluant les fournisseurs  dépassait 10 milliards d’euros. En 2018, il sera déficitaire de plus de 12 milliards.

Est-ce que cette stratégie a profité à Renault ? Non. Sa capitalisation boursière était de 17 milliards quand Carlos Ghosn a quitté l’entreprise. Volkswagen malgré le scandale des moteurs truqués valait 70 milliards. Mais si l’on enlève la valeur de la participation de 43% dans Nissan, la véritable valeur de Renault tombe à 4 milliards soit cinq fois moins que PSA.  Renault a fait les mauvais choix. Son alliance avec Nissan l’a écarté des trois premiers marchés mondiaux : le Japon, les Etats-Unis et surtout la Chine où le constructeur japonais investissait massivement. Pendant ce temps-là, Renault préférait l’Amérique latine avec les risques que l’on connait et …la Russie. L’entreprise n’a pas su prévoir l’intérêt des clients pour le SUV à la différence de Nissan avec son Qashqai et de Peugeot. Elle a lancé très tôt un modèle électrique, la Zoé, mais malgré de lourdes subventions publiques, le véhicule n’a attiré que quelques dizaines de milliers de clients par an sur un marché de 2 millions de voitures en France. La rémunération octroyée à son président par un conseil d’administration où l’Etat était représenté a finalement été inversement proportionnelle à ses résultats. On ne s’étonnera pas du fossé qui s’est créé dans le pays entre le peuple et son « élite ».

Le cas d’Alstom n’est pas très différent. Ce fut jusqu’au milieu des années 90 un joyau de l’industrie française. Le comportement de son actionnaire, Alcatel-Alsthom, qui l’introduisit en bourse après voir asséché sa trésorerie et plusieurs erreurs stratégiques ont créé les conditions qui ont conduit aujourd’hui à sa quasi-disparition. Il y eu d’abord la rupture en 1993 de ses accords avec General Electric dans la fabrication des turbines à gaz, secteur où l’entreprise n’a jamais brillé. Pour y remédier, elle fit l’acquisition des activités d’ABB. L’affaire mal négociée conduisit l’entreprise au bord de la faillite et elle fut sauvée en 2004 par  l’intervention de l’Etat qui entra au capital. Le groupe se rétablissant, les actions de l’Etat furent revendues à Bouygues en 2006. Le directeur financier, du groupe était alors Olivier Poupart-Lafarge. Le directeur financier d’Alstom, depuis 2004 n’était autre que son fils Henri Poupart-Lafarge.

Huit ans plus tard, le cours de l’action se trainait en bourse. Les dirigeants d’Alstom comprirent enfin qu’ils avaient peu de chance de redresser leur activité dans les turbines à gaz et à charbon. General Electric pouvait être intéressé car le groupe américain voulait se développer en Europe. Une cession était envisageable. Mais les dirigeants et les actionnaires du groupe étaient bien plus gourmands. Pour recueillir le maximum de cash, ils lièrent cette cession à celle de l’ensemble des activités du pôle « énergie ». Au départ, GE n’était pas intéressé car l’entreprise était sortie de ces métiers (hydraulique), ou travaillait sur des technologies différentes (nucléaire, réseaux, renouvelables). Le président d’Alstom, Patrick Kron, réussit à convaincre l’Etat que ces métiers ne pouvaient être séparés, alors qu’ils n’avaient techniquement rien de commun et qu’ils l’avaient toujours été. Il obtint de GE qu’il prenne le tout et verse près de 10 milliards.

Le groupe américain aujourd’hui en difficulté le regrette bien mais les victimes seront les salariés. Des réductions d’effectifs viennent d’être annoncées à Belfort alors que l’engagement de créer un millier d’emplois avait été pris en 2016. Les dirigeants politiques de l’époque portent aujourd’hui la responsabilité du démantèlement d’un joyau industriel dont les seuls bénéficiaires auront été au final l’actionnaire Bouygues et le patron d’Alstom qui quitta son poste une fois l’affaire conclue avec un confortable bonus.

L’affaire prit aussi une dimension complotiste. Alstom était poursuivi à l’époque aux Etats-Unis pour des faits de corruption. L’entreprise a alors négocié et payé une amende pour mettre fin aux poursuites. Cela a suffi à accréditer la thèse suivant laquelle les autorités américaines agissaient de concert avec les dirigeants de General Electric pour mettre la main sur un fleuron français. Mais cela ne tient pas car GE n’était intéressé que par les turbines et ne voulait pas, à l’origine, procéder à une telle opération qui se révèlera ruineuse. On voit mal l’administration américaine mettre la pression sur ses dirigeants au risque de fragiliser l’entreprise pour le seul profit des actionnaires et des dirigeants d’Alstom.  

Cette cession devait permettre à l’entreprise, selon ses dirigeants, d’avoir les ressources financières suffisantes pour assurer l’avenir de la branche transport. On apprit peu après qu’elle aussi allait être vendue et passer sous le contrôle de Siemens, son éternel concurrent en Europe et dans le monde. Le TGV allait devenir allemand alors que le pays n’avait pas su se doter d’un réseau à grande vitesse comparable au nôtre. Le comble, c’est que la raison invoquée, la menace d’un concurrent chinois n’a aucune crédibilité car celui-ci n’a jamais marqué d’intérêt pour le marché européen, trop occupé qu’il est avec les gigantesques projets dans son pays et leur prolongement vers les pays voisins dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie ». Heureusement Bruxelles, face à la création d’un tel monopole hésite à donner son autorisation. Espérons que pour une fois sa décision permettra de conforter notre industrie et, en l’occurrence, de la sauver.

Renault et Alstom constituent deux exemples, parmi bien d’autres, de l’affaiblissement industriel de la France. Le comportement de leurs dirigeants et la passivité, voire la complicité de l’administration sont en cause. Mais la responsabilité de cet affaiblissement a été attribuée aux salariés, trop coûteux, et aux  retraités, trop privilégiés. L’Etat leur a demandé en plus de payer à travers la  fiscalité ou le gel des pensions, le coût de mesures qui étaient supposées remédier à cet affaiblissement mais qui ne s’attaquait pas à ses véritables causes. Le rejet des élites et du système auquel la France est aujourd’hui confrontée n’est donc pas tout à fait surprenant.   

 

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