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Le blog d'Alain Boublil

 

La vraie cause de la crise française

Des trois causes généralement invoquées pour comprendre la crise française, les mauvais choix en matière économique, les erreurs commises à propos de la taxation des carburants et la communication du pouvoir exécutif, cette dernière est bien la plus profonde. Quand les préoccupations relatives à la communication l’emportent sur une conduite efficace de l’action publique, cela produit des résultats désastreux. La France en fait la regrettable expérience aujourd’hui. Tout a commencé avec l' annonce dans le courant de l’année 2018 de hausse des taxes sur le diesel et l’essence pour les quatre prochaines années. Ces mesures étaient justifiées par des considérations autant environnementales que budgétaires. Elles ne pouvaient que choquer profondément les personnes concernées, à savoir la quasi-totalité de la population, et cela pour deux raisons.

La première raison, c’est qu’elle allait en sens inverse de ce qui avait été mis en place une dizaine d’années plus tôt et ce revirement était opéré sans aucune précaution. Pour réduire les émissions de CO2, l’Etat avait décidé à l’époque d’inciter les Français à acheter des voitures roulant au diesel grâce à une fiscalité plus avantageuse. Or un véhicule dure en moyenne une vingtaine d’années. En 2011, 70% des acheteurs de voitures neuves avaient fait ce choix pour suivre les recommandations du pouvoir politique. Ils allaient se retrouver doublement pénalisés. Au lieu de continuer à profiter d’une taxation allégée, ils paieraient désormais davantage d’impôts. En plus, leur voiture au moment de sa revente allait perdre de la valeur. Il y avait donc de quoi être profondément mécontent.

La seconde erreur a été d’annoncer qu’il n’y aurait pas une mais quatre augmentations successives durant les années à venir. Pour des raisons de communication, il fallait provoquer un choc pour bien montrer la détermination du gouvernement. Le choc fut bien là mais ses conséquences ont dépassé tout ce que les instigateurs de cette politique avaient imaginé. Le pire, c’est que cette annonce spectaculaire était dépourvue de toute portée réelle. S’agissant de mesures fiscales, le gouvernement doit respecter le principe de l’annualité budgétaire. Le Conseil constitutionnel vient de le lui rappeler en censurant la non-indexation des retraites pour l’année 2020 qui figurait dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 parce qu’il contrevenait à ce principe. Si l’Etat voulait maintenir cette mesure, votée pour 2019, en 2020, il devait le faire  figurer dans le projet de loi relatif à l’année concernée.

Les hausses des taxes sur l’essence et le gazole pour 2020 et les années suivantes auraient été censurées de la même façon. La priorité donnée à la communication sur une action politique conçue de manière professionnelle et respectueuse de la Constitution a abouti au résultat que l’on voit aujourd’hui : l’abandon de ces hausses, y compris celles relatives à 2019. La crise que la France traverse dépasse cette simple question fiscale et a acquis un caractère systémique. La faiblesse de la réflexion stratégique a eu un autre effet négatif. Personne ne semble avoir jugé utile de situer la politique de taxation des carburants dans son contexte économique international et par rapport à l’évolution du cours du pétrole lui-même et de la devise dans laquelle cette énergie était cotée, à savoir le dollar.

Durant le premier semestre de 2018, le baril de Brent avait fluctué autour de 70 dollars, puis avait connu une baisse jusqu’à 60 dollars au mois d’août avant que le cours remonte brutalement  durant le mois de septembre pour atteindre un pic de 85 dollars au début du mois d’octobre. Pendant ce temps là, le dollar s’était apprécié par rapport à l’euro de 5% environ. Compte-tenu du délai de répercussion des fluctuations de cours sur les prix à la pompe des carburants  ceux-ci se sont mis à augmenter brutalement au moment précis où le gouvernement promettait de nouvelles et fortes hausses pour les quatre années à venir. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Le mécontentement des utilisateurs de  véhicules, en milieu peu urbanisé et donc pas ou mal desservi par des transports en commun, s’est ajouté au phénomène, qui n’est pas nouveau, de rejet des « élites parisiennes et mondialisées » qui étaient surreprésentées jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Les carburants constituent un secteur très sensible. On fait le plein souvent et quand on circule, on voit à chaque instant leurs prix affichés au bord de la route.  

Ces réactions ne sont pas entièrement justifiées car les mécontents oublient de dire qu’ils paient des loyers, quand ils sont locataires trois à quatre fois plus faibles que dans les grandes métropoles ou qu’ils peuvent acquérir une maison à un prix sans commune mesure avec ce que leur coûterait un appartement parisien ou lyonnais. Mais ce qui compte, c’est le ressenti et il a été aggravé par la forme prise par ces annonces. Il eut été infiniment plus efficace de mettre en place un dispositif qui, tout en répondant aux objectifs recherchés, à savoir la fin de l’avantage comparatif procuré au diesel face à l’essence, tiendrait compte de l’évolution des cours mondiaux et permettrait de protéger les automobilistes en cas de hausse brutale des cours, tout en ne répercutant pas en totalité leur baisse si elle devait se produire pour garder le cap fixé en matière de lutte contre les pollutions. Mais il aurait fallu que la priorité soit accordée aux objectifs recherchés et aux meilleurs moyens à mettre en œuvre pour les faire accepter et non à la forme choisie pour les annoncer.  

La politique agressive de communication a concerné de nombreux autres champs de l’action publique, sans plus de résultat. Ainsi, la disparition progressive de la taxe d’habitation fournit l’exemple inverse de ce qui vient de se produire avec le diesel. Le gouvernement espérait en tirer un avantage politique. La mesure devant s’étaler dans le temps, le ressenti fut nul. On croit toujours les mauvaises nouvelles, même quand elles ne produisent pas d’effet immédiat mais on attend que les bonnes soient entrées en vigueur en tenir compte. Tous ces choix de « communication » n’ont produit que colère ou déception. Ils se sont traduits par l’effondrement de la cote de popularité du chef de l’Etat et du Premier ministre, signes précurseurs de la crise actuelle.

Le monde politique n’est pas le seul à avoir recours à ces pratiques. Les entreprises en usent abondamment. Quand elles veulent suivre une mode, suscitée par l’environnement médiatique, comme dans le cas de la voiture électrique, elles annoncent des programmes spectaculaires d’investissement, chiffrés en dizaines de milliards, mais étalés sur quatre à dix ans parfois. Cela impressionne et peut doper, ou pas, leurs cours de bourse, mais cela a des  conséquences bien moins graves que le rejet massif que subissent les pouvoirs politiques en place, notamment en France, et qui sont l’une des causes de la montée des populismes.  

Il y a plus de deux mille ans le sage chinois Sun Tzu prodigua à son maître, le roi de Wu, le conseil suivant : "Soyez subtil, au point d'être invisible. Soyez mystérieux, au point d'être imprévisible. Ainsi vous contrôlerez le sort de vos rivaux." Il avait déjà compris à quel point la communication pouvait jouer un rôle décisif dans l’art de gouverner. L’hyper médiatisation du monde d’aujourd’hui rend bien sûr impossible l’application à la lettre de ces recommandations. Mais leur philosophie est d’une extraordinaire actualité si on veut bien prendre le soin d’y réfléchir et de s’en inspirer.

     

 

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