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Le blog d'Alain Boublil

 

Le paradoxe allemand

Le projet d’accord de principe entre la CDU-CSU et le SPD pour former une grande coalition et gouverner l’Allemagne qui a été conclu à la veille du week-end n'est qu' une première étape. Le SPD, lors d’une convention qui se tiendra le 21 janvier doit encore l’approuver. Déjà, pendant le week-end, des voix discordantes se sont élevées à l’intérieur du parti. Si finalement le feu vert est donné, une négociation plus approfondie qui pourrait durer encore plusieurs semaines interviendra et permettra, peut-être de former un gouvernement et de mettre un terme à la plus longue crise politique que l’Allemagne ait connu depuis la guerre. La solution n’est pourtant pas très éloignée de ce que les Français ont choisi. Le gouvernement d’Edouard Philippe n’est-il pas aussi une grande coalition ?      

Les électeurs allemands, à l’automne dernier, ont exprimé leur mécontentement ce qui s’est traduit par des scores historiquement bas pour les grandes formations politiques et une poussée des partis extrémistes et notamment de l’AFD. C’est bien là que se situe le paradoxe car les brillants résultats économiques du pays font l’envie de tous ses partenaires européens, avec la France au premier rang où l’on ne cesse de vanter la réussite de notre voisin et de le citer en exemple. L’excédent commercial dépassera encore 200 milliards d’euros en 2017 quand le déficit français atteindra 60 milliards, le plein emploi est proche avec un taux de chômage inférieur à 5% de la population active, le budget de l’Etat est en excédent et la dette publique régresse d’année en année. Pourtant les électeurs ne sont pas satisfaits. Est-ce qu’ils accordent de moins en moins d’importance à l’économie ou est-ce que nous nous trompons sur la réussite allemande ?

Ce qui est sûr, c’est qu’aucun allemand n’attribue à l’Etat la réussite industrielle et commerciale du pays car elle est la conséquence de sa culture d’entreprise qui est au cœur de son modèle social. Les dirigeants y ont en général fait toute leur carrière et il est rarissime de voir un ancien haut fonctionnaire à la tête d’une compagnie du DAX 30, l’équivalent de notre CAC 40. Les salariés ont une place importante dans les organes de direction de toutes les entreprises de plus de 2000 personnes et n’auraient jamais approuvé des stratégies d’acquisition désordonnées financées par de l’endettement ou des délocalisations coûteuses en emploi. Le faible taux de chômage résulte d’abord de la situation démographique de l’Allemagne avec l’une des natalités les plus basses d’Europe. Son mode de calcul a aussi profité des dispositions adoptées en 2003 sous le gouvernement de Gerhard Schröder destinées à remettre les Allemands de l’Est au travail. Dix ans après l’unification, le taux de chômage, dans les länder orientaux dépassait toujours 15%. La création des mini-jobs et la réduction drastique des droits accordés aux chômeurs eurent un effet statistique immédiat mais des conséquences politiques lourdes pour le SPD. Le pourcentage de suffrages recueillis lors des élections législatives est passé de 38% en 2002 à environ 20% lors du dernier scrutin. Le SPD n’a plus jamais dirigé le pays, participant en étant minoritaire à deux grandes coalitions menées par la CDU-CSU ou étant dans l’opposition entre 2009 et 2013.

Quant aux performances en matière de dépenses publiques, elles n’ont pas davantage enthousiasmé les électeurs. Elles résultent là aussi pour une bonne part de la faiblesse démographique du pays. Moins d’enfants, cela veut dire des dépenses d’éducation de plus en plus réduites. Aucun des deux grands partis ne propose une vraie politique familiale avec des prestations sociales et une prise en charge dans des crèches, par exemple. Beaucoup de femmes en sont réduites à accepter un emploi à temps partiel, ce qui n’est pas sans incidence, là encore, sur le  taux de chômage. Enfin le faible engagement international du pays se traduit par des dépenses militaires bien moins élevé qu’en France ou au Royaume-Uni. Dans ce contexte, le retour à l’équilibre budgétaire est plus facile. En revanche, l’Allemagne n’a pas profité de cette situation pour investir dans les infrastructures comme en témoignent les difficultés rencontrées pour la construction du nouvel aéroport de Berlin qui a maintenant près de cinq ans de retard.  

Il n’est donc pas surprenant que les performances macroéconomiques de l’Allemagne n’aient pas vraiment convaincu les électeurs car soient elles ne résultaient pas de l’action publique, soit celle-ci s’est révélée décevante. Le projet actuel entre les deux formations et qui sera soumis aux responsables du SPD dimanche prochain comporte des mesures sociales, un programme de réformes pour l’Europe  et une marche arrière sur l’environnement, avec l’abandon de l’objectif de réduction des émissions de CO2 à l'horizon 2020. Son maintien aurait entrainé la fermeture de nombreuses centrales à charbon et c’est politiquement impossible dans un tel contexte. Pourtant le mode de calcul qu’avait obtenu l’Allemagne lui était favorable puisque l’année de référence choisie par Bruxelles était 1990 et incluait les usines et les centrales d’Allemagne de l’Est, lourdement polluantes, qui devaient de toute façon être fermées. L’objectif pour 2020 n’était pas donc très contraignant.

L’autre aspect du paradoxe allemand, c’est que le parti politique qui a le plus progressé lors des dernières élections, est celui qui est le plus eurosceptique alors que l’Allemagne a su mieux que tous les autres membres profiter de l’Europe, notamment avec les aides reçues après 1990 et grâce à l’adhésion des anciens pays communistes. Ceux-ci ont servi à l’industrie allemande de base de sous-traitance ce qui a permis de réduire ses coûts de productions tout en gardant le maximum de valeur ajoutée sur son sol. En plus, aucun chef de gouvernement européen n’a su mieux qu’Angela Merkel imposer à Bruxelles des arbitrages qui soient favorables à ses entreprises. L’adoption de normes d’émission plus souples pour les véhicules « haut-de-gamme » en est un bon exemple comme le blocage du marché des quotas de CO2. Berlin, en empêchant que soient réduites des allocations manifestement excessives a vidé cet outil de toute portée pour le plus grand profit des centrales thermiques allemandes.

Le point le plus dur des négociations entre la CDU-CSU et le SPD, si elles reprennent après la convention sociale-démocrate de samedi, portera précisément sur le projet européen mais pas du tout sur les aspects qui ont suscité le succès de l’AFD, comme l’ouverture des frontières aux migrants et Schengen. La discussion va se concentrer sur la réforme de la zone euro, dont l'esprit est proche des mesures proposées par la France, avec un renforcement des moyens financiers pour prévenir les crises, la création d’un Fonds Monétaire Européen, et des financements pour des programmes d’investissement. Proposée par le SPD, cette partie du programme de gouvernement d’une éventuelle grande coalition est fermement rejetée par l’aile conservatrice de la CDU-CSU. Pour s’assurer que les engagements pris seront tenus, le SPD va même demander le poste-clef de ministre des finances car c’est là que vont être négociés les réformes prévues pour l’Europe. Mais il est peu probable que la CDU et encore moins la CSU accepte facilement que le successeur de Wolfgang Schaübble, connu pour son intransigeance, soit un social-démocrate.

Si la négociation devait échouer, et ce pourrait être sur ce point symbolique, la crise politique en Allemagne s’aggraverait et devrait déboucher sur de nouvelles élections, repoussant de plusieurs mois la constitution d’un gouvernement. La responsabilité de cette situation sans précédent serait attribuée aux désaccords sur l’Europe. Le paradoxe allemand aurait pris alors une nouvelle dimension.        

 

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