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Le blog d'Alain Boublil

 

L'erreur de Thomas Piketty

Le succès international et mérité du livre de Thomas Piketty ne pouvait que susciter les critiques des inconditionnels de la pensée libérale. C’est chose faite. Le Financial Times a repris les données collectées par l’économiste français, y a relevé des inexactitudes et a mis en doute  ses conclusions, à savoir que le capitalisme générait, et se nourrissait, des inégalités de fortune.

L’erreur de Thomas Piketty ne se situe pas là. On peut pinailler sur des décimales ou sur des corrélations, comme viennent  de le faire les journalistes du F.T., cela ne changera rien au fait que les économistes ne se sont jamais intéressé au lien théorique entre l’accumulation des richesses, leur répartition et l’évolution de l’économie d’un pays. Le grand mérite de l’auteur du « Capital au XXIème siècle » et de son équipe, c’est d’avoir enfin, et sur une longue période, cherché à savoir comment la richesse s’était accumulé. Mais son erreur, c’est d’avoir voulu en tirer des conclusions philosophiques, sinon politiques, au lieu de jeter les bases  d’une « nouvelle science économique ».                                     

Si les économistes ont été incapables de prévoir la grande crise de 2007-2008, et ont encensé la gestion des pays (Etats-Unis, Angleterre, Irlande, Espagne) où la crise allait éclater, c’est  précisément parce qu’ils ne tenaient aucun compte des précieuses données  qui ont fait l’objet des recherches de Thomas Piketty, à savoir l’accumulation des actifs, la richesse, et des passifs, l’endettement. Il faut relire, comme vient de nous y inciter malicieusement Le Monde, le jour où était décerné le prix du meilleur jeune économiste à Augustin Landier, l’article que celui-ci signa au mois de juillet 2007 avec un autre lauréat de ce prix soutenu par le journal, David Thesmar, soit quelques jours avant l’éclatement de la crise des subprimes. Le titre était révélateur : « Pourquoi le megakrach n’aura pas lieu… ».  Ou encore revoir la couverture de Challenges en mars 2008, où Patrick Artus déclarait sans ambages : « La crise est finie ».

Le PIB américain s’envolait, mais c’était au prix d’un endettement insoutenable des couches sociales les plus défavorisées, qui ne profitaient pas de l’accumulation de la richesse du pays. Les entreprises produisaient, ce que reflétait l’évolution du PIB, mais les biens étaient  payés à crédit. Même situation en Espagne avec la bulle immobilière ou en Irlande avec le gonflement du bilan des banques. Ce n’est pas, sauf en Grèce, la situation des finances publiques qui a été à l’origine de la crise, mais les déséquilibres bilantiels privés. Or « l’ancienne science économique » ne s’intéresse et modélise que les flux à travers  l’équilibre « emplois-ressources ». Il n’est donc pas étonnant que personne (ou presque…) n’ait rien vu venir puisque les actifs et les passifs étaient ignorés par la théorie. Quel analyste financier pour juger une entreprise ferait l’impasse sur le bilan pour ne se fier qu’au compte d’exploitation ? En économie, c’est pourtant le cas puisque les dettes n’apparaissent pas dans les modèles pas plus, d’ailleurs, que l’épargne financière des ménages et son influence sur leurs comportements futurs de consommation et d’investissement.

La science économique se trouve en réalité dans le même état que la physique avant Einstein. Il lui manque une dimension, le temps. Dans le raisonnement, tout ce passe comme si, au début de chaque année, on remettait les compteurs à zéro, et que les comportements ne seraient influencés que par les évènements intervenus à partir du 1er janvier. Or c’est faux, la crise des subprimes l’a montré. L’accumulation de l’endettement privé a provoqué une rupture du système financier qui s’est propagé dans toute l’économie à travers les mécanismes de titrisation. Les modèles ne pouvaient le prévoir puisque précisément ils n’intégraient pas les données patrimoniales.

Le grand mérite du travail de Thomas Piketty, c’est d’avoir rassemblé suffisamment de données pour que désormais on puisse étudier l’influence du rythme et des caractéristiques de l’accumulation des richesses sur la croissance et l’emploi et mieux prévenir les déséquilibres, donc les crises. On ne pourra plus faire comme si cela n’existait pas et on doit espérer que toute une génération de chercheurs se lance dans l’exploitation de ces données pour mieux rendre compte à travers de modèles plus complets, du fonctionnement réel des économies développées. Si les données sont insuffisamment précises comme pensent l’avoir établi les journalistes du F.T., elles seront enrichies et renforceront la crédibilité des nouveaux instruments de diagnostic et de prévision économique.

Car l’étape suivante, c’est l’adaptation des outils de la politique économique à ce nouveau cadre théorique. Thomas Piketty l’aborde en prônant l’instauration d’une taxation mondiale de la richesse et il reprend à son compte, et à juste titre, l’analyse de Maurice Allais sur la rente, ennemi de la croissance. Mais c’est insuffisant et irréaliste. Aucun accord au niveau international n’est susceptible d’être trouvé sur un sujet pareil, il suffit de voir ce qui se passe pour la taxe sur les transactions financières, ou même en Europe où les Etats, pourtant directement concernés, vu leur endettement, sont incapables de  lutter contre les pratiques d’optimisation fiscale des entreprises.

Il vaudrait bien mieux intégrer les actifs et les passifs dans la réflexion économique et assumer le fait que la richesse nationale ne s’assimile pas à la production nationale une année donnée, comme on tend à le faire croire. Dans le cas de la France, cela créerait un véritable choc. Rapportée au patrimoine national, la dette publique nette est restée autour de 12% et  n’a donc pratiquement pas progressée depuis 20 ans. Rapportée au patrimoine des ménages, elle est passée de 15,3% en 2000 à 15,9% en 2012. Pas de quoi s’affoler !                  

Cela pourrait modifier aussi notre regard sur la fiscalité. Plutôt que d’adopter des taux confiscatoires sur les revenus, qu’il s’agisse des ménages ou de l’impôt sur les sociétés, dont l’absurdité conduit à prévoir des « niches » coûteuses, incontrôlables et génératrices d’effets d’aubaine, il vaudrait mieux taxer les patrimoines à un taux très faible mais dont l’assiette, comme l’ont montré les travaux de Thomas Piketty, est dynamique. C’est d’ailleurs, suprême paradoxe, ce qu’ont fait les Etats-Unis avec une taxe foncière près de dix fois supérieure à nos impôts locaux et à notre ISF. Mais cela suppose un formidable effort pédagogique pour faire comprendre aux Français que taxer leurs biens à hauteur de 1% est bien plus efficace que d’imposer leurs revenus entre 15 et 45%. Aux économistes donc de poursuivre dans la voie qu’a ouverte Thomas Piketty et aux politiques de convaincre les Français.      

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