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Le blog d'Alain Boublil

 

Les trois virages d'Angela Merkel

Après 86 jours de tractations et un plébiscite (76%) des adhérents du SPD au programme de la grande coalition, l'Allemagne a un nouveau gouvernement. La direction qu'il va prendre      comporte une sérieuse inflexion par rapport à la trajectoire passée et aux conclusions trop rapides qui avaient été tirées du résultat des élections au Bundestag. Ce n'est d'ailleurs une surprise que pour ceux qui n'avaient pas remarqué que la précédente coalition avait perdu les principale élections régionales depuis trois ans. La "victoire" de la CDU/CSU du 22 septembre est en réalité un succès personnel de la Chancelière et une défaite des idées qui inspiraient le gouvernement sortant. Les changements qui vont intervenir dans la politique économique allemande sont à la mesure de l'ampleur de ce désaveu.

Le premier virage concerne l'Europe. Les dissensions, depuis l'éclatement de la crise grecque, entre la CDU et son allié, le FDP, ont constitué un frein et parfois même un obstacle dans la recherche de solutions aux difficultés que rencontraient les pays de la zone euro, et une incitation, pour la spéculation internationale, à jouer son éclatement. Au point qu'il faudra toute l'habileté politique de François Hollande et l'imagination financière de Mario Draghi, pour fournir, durant l'été 2012, à la Chancelière, les éléments pour museler les oppositions au sein de son propre gouvernement. En confiant le ministère de l'Economie avec rang de vice-Chancelier, à un européen convaincu, le leader du SPD, Sigmar Gabriel, elle ne prend plus le risque d'être en permanence sous la pression d'un allié turbulent, et en rappelant à Berlin Jorg Asmussen, qui fut, durant la crise de l'euro, le plus fervent soutien de Mario Draghi, face au jusqu'auboutisme de la Bundesbank, elle envoie un signal fort de soutien à  la BCE.

Le deuxième virage, et il est en épingle à cheveux, concerne la politique économique. En abaissant l'âge de la retraite pour les carrières longues, en revalorisant les petites pensions et en instaurant un salaire minimum, conditions exigées par le SPD pour entrer au gouvernement, Angela Merkel ne rompt pas seulement avec la politique de la précédente majorité. elle remet en cause l'esprit et le contenu des fameuses réformes de Gerhardt Schröder qui avaient coûté si cher à son parti. Le salaire minimum, c'est à terme la fin des mini-jobs qui avaient été instaurés pour forcer les Allemands de l'Est à accepter un travail, quelle que soit la rémunération offerte. Le but n'était pas seulement de faire baisser le chômage: il s'agissait aussi de les dissuader de migrer vers l'ancienne Allemagne de l'Ouest. Au moment de l'unification, les migrations avaient été massives, plus d'un million en trois ans, de 1989 à 1992. Puis le flot s'était tari, avant de reprendre brutalement et atteindre près de 100 000 personnes en 2000. Pour stopper ce flux, il n'y avait pas eu d'autre solution que de durcir la législation sociale et d'instaurer dans toute l'Allemagne les mini-jobs. Et ce seront les fameuses lois Hartz. Comme cela, les candidats n'étaient plus assurés de trouver à l'Ouest de meilleures conditions et seraient moins tentés de quitter leurs territoires. Contrairement à ce que l'on entend et lit trop souvent, ces "réformes" n'ont joué aucun rôle dans les succès allemands à l'exportation et n'avaient pas pour objet "d'améliorer la compétitivité des entreprises". A l' inverse, il serait illusoire d'escompter que le nouveau tournant pris par l'économie allemande va affaiblir en quoi que ce soit son industrie. En revanche, et c'est une bonne nouvelle pour la France, nos deux modèles économiques vont recommencer à converger, ce qui sera profitable à tout le monde à commencer par la zone euro.

On ne peut hélas pas en dire autant du troisième virage, qui lui concerne la politique de l'énergie. En maintenant sa volonté de sortir du nucléaire en 2022 et en reconnaissant que tant en terme de coût que de disponibilité, les énergies renouvelables ont atteint des limites, le gouvernement allemand est bien forcé d'admettre qu'il restera tributaire "dans un horizon prévisible" des énergies fossiles pour produire son électricité. Emettant déjà près de 40% de plus de CO2 par habitant que la France, l'écart n'est donc pas près d'être comblé. Pire, face au coût exorbitant des énergies renouvelables et aux réticences compréhensibles du gouvernement à accroître encore la charge pesant sur les ménages, l'Allemagne va profiter de ses gisements de lignite, la plus polluante des énergies fossiles, et de la baisse des cours mondiaux du charbon pour alimenter ses centrales, renvoyant aux calendes grecques la réalisation des objectifs européens d'émission de gaz à effet de serre.

Pire encore, l'Allemagne va continuer de bloquer, comme elle l'a fait jusqu'à présent, la mise en place de mécanismes efficaces au niveau européen pour inciter à la réalisation des objectifs ambitieux, qu'il s'agisse des quotas de CO2 ou des normes d'émission des véhicules automobiles.

La France est alors placée devant un délicat dilemme: en fermant les yeux et en acceptant une certaine démobilisation européenne, elle hypothèque le succès de la Conférence de Paris en 2015. En maintenant une position ferme, elle entre de plein fouet en opposition avec l'Allemagne, et ce au moment ou pourtant tout concourrait à rapprocher les deux pays.

Les virages d'Angela Merkel constituent une très bonne nouvelle pour l'Europe et pour la France, mais la route, devant nous, n'est pas dépourvue de nids de poules.

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