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Le blog d'Alain Boublil

 

Dette publique : mythes et réalité

Le niveau de la dette publique et son coût pour le budget de l’Etat ont servi d’épouvantail aux responsables politiques depuis une dizaine d’années. Ces menaces étaient brandies quand il s’agissait de faire voter des hausses d’impôts ou de réaliser des économies. Tout a changé ces derniers jours. Comme par miracle, Bercy a reconnu que la charge de la dette  allait baisser. Cela permettrait de financer les dépenses nouvelles ou les pertes de recettes occasionnées par les mesures annoncées par le président de la République au mois de décembre en plein milieu de la crise des « gilets jaunes ». Elles avaient été chiffrées  à neuf milliards. L’Etat vient de découvrir que c’est cette somme que va lui faire économiser pour les deux années à venir le maintien à un niveau très bas des taux d’intérêt, conformément aux annonces de la Banque Centrale Européenne.  

Jusqu’à présent, l’évaluation de la charge future de la dette était fondée sur les prévisions publiées dans les lois de programmation des finances publiques. Ainsi, en 2014 on voyait le taux à dix ans passer en 2015 de 1,5 à 2,2% pour atteindre 3,2% en moyenne en 2017. La réalité a été toute différente : à la fin de l’année 2017, l’OAT à dix ans avait un taux de 1,10%. Le gouvernement a récidivé dans la loi de programmation portant sur la période 2018-2022 votée à la fin de l’année 2017. Cette fois la prévision de taux d’intérêt était de 1,85%, 2,60% et même 3,25% à la fin des exercices 2018, 2019 et 2020 et les calculs sur la charge de la dette en portaient la trace. Ces chiffres étaient massivement et sciemment surévalués. La réalité sera toute autre, bien sûr. A la fin de l’année dernière le taux à 10 ans s’était établi à 0,70% et il est resté durant tout le mois de février compris entre 0,50 et 0,60%. Personne n’imagine sérieusement que les niveaux prévus soient atteints.

Mais le fait de retenir de telles hypothèses présentait un double avantage : il créait au sein du budget une cagnotte. La surévaluation de ces dépenses prévisionnelles permettait de dégager des ressources en cas de nouveaux besoins, comme on vient de le constater avec les annonces récentes de Bercy ; il permettait aussi, vis-à-vis de Bruxelles d’afficher un solde primaire en forte baisse puisque celui-ci se calcule en retranchant du solde public la charge de la dette. Plus celle-ci est élevée, à dépenses totales inchangées, plus le solde primaire s’améliore. Ainsi, au moins au niveau de la prévision, la France respectait ses engagements. Il serait surprenant qu’à la Commission, personne n’ait remarqué la manœuvre.   

La charge réelle de la dette de l’Etat comporte deux éléments. Il y a d’abord les intérêts versés durant l’année aux détenteurs de Bons du trésor et d’obligations. La somme est connue d’une année sur l’autre. En 2019, avec 37 milliards d’euros, elle sera en réduction de 3,7 milliards par rapport à 2015. La baisse des taux d’intérêt a un effet lent et progressif dans le temps. Elle se matérialise chaque fois que l’Etat rembourse un emprunt arrivé à son terme et qu’elle le remplace par un nouvel emprunt qui lui coûtera les années suivantes beaucoup moins cher. Cet effet l’emporte sur les conséquences de l’accroissement de la dette provoqué chaque année par les déficits publics.

Le second élément, dont on parle rarement porte sur les effets de l’indexation de certains emprunts. Quand les taux étaient élevés, l’Etat proposait aux souscripteurs des taux plus bas mais assortissait l’emprunt d’une clause d’indexation, sur nos prix ou même sur ceux de la zone euro. A l’échéance de l’emprunt, les sommes remboursées étaient relevées du montant de l’inflation sur tout sa période. Heureusement, il n’y a pas eu d’envolée des prix depuis une quinzaine d’années mais l’inflation finit par avoir un coût. Lorsqu’un emprunt indexé vient à l’échéance, aux intérêts payés s’additionne le coût de l’indexation ce qui alourdit la charge de la dette de l’exercice. Ainsi le 25 juillet 2018, l’Etat a remboursé une obligation indexée sur les prix de la zone euro portant un taux de 0,25%. La charge supplémentaire a été d’environ 650 millions. Cette année, toujours le 25 juillet, le remboursement de l’obligation indexée sur les prix français et portant intérêt de 1,30% coûtera 1,2 milliard. Mais ce n’est rien à côté de ce qui nous attend le 25 juillet 2020 lors du remboursement d’une obligation portant un taux de 2,25% indexée sur la zone euro. La charge sera de plus de 5 milliards, ce qui annulera d’un seul coup tous les effets de la baisse des taux d’intérêt cette année-là.

Curieusement, dans les documents budgétaires des années 2018 et 2019, les charges liées à l’indexation ont été surestimées. Il est donc possible que des provisions aient été ainsi constituées pour prévenir le choc de 2020. Mais il est peu vraisemblable, du fait des conséquences de l’indexation, que la baisse de la charge de la dette soit suffisante pour compenser les dépenses nouvelles annoncées au mois de décembre. On peut d’ailleurs se demander pourquoi la France conserve cette pratique d’indexation  qui a pour effet de reporter sur les exercices futurs des charges excessives, surtout à un moment où les taux d’intérêt sont aussi bas. Ainsi, le 21 février, le Trésor a émis des emprunts indexés l’un sur l’inflation française, l’autre sur celle de la zone euro, portant des taux d’intérêt de 2,10 et 1,85% avec pour échéances respectives, 2023 et 2027. Les sommes levées, au total 1,2 milliard, étaient faibles mais les taux offerts étaient bien suffisants pour qu’on n’ait pas besoin de rajouter une clause d’indexation. Pour des maturités allant de 4 à 8 ans, les taux du marché étaient alors voisins de zéro.    

C’est là qu’intervient une autre pratique discutable de l’Etat : la collecte de primes d’émission. Quand le taux offert est supérieur au taux du marché, le souscripteur accepte de payer plus cher l’obligation, prime qu’il récupérera tout au long de la durée de vie de l’emprunt en percevant des intérêts plus élevés. L’Etat comptabilise dans sa trésorerie, et non dans le calcul de son déficit annuel, ces primes. Mais les intérêts payés seront eux inclus dans le calcul du déficit des années suivantes, ce qui a freiné depuis cinq ans la diminution de cette charge provoquée par la baisse des taux. Cette pratique avait atteint de tels niveaux en 2015 et 2016 que la Cour des Comptes s’en était émue. Après une accalmie en 2017, le montant collecté est reparti à la hausse en 2018. Cette année, pour le seul mois de février, l’Etat a recueilli 1,2 milliard de primes, notamment en émettant un emprunt à dix ans le 7 février au taux de 2,5% alors que le taux du marché était quatre fois plus faible.

Les mesures annoncées au mois de décembre, comme le coût en 2019 et 2020 des émissions indexées, portent sur des montants bien trop élevés pour être couvertes par les économies provoquées par la baisse des taux, comme cela a été annoncé. L’Etat va donc puiser dans sa trésorerie abondée par les primes d’émissions, emprunter à des taux artificiellement élevés comme il a commencé à le faire au mois de février et ainsi reporter sur les exercices futurs les conséquences de sa politique. Il serait surprenant que ce genre d‘artifice passe éternellement inaperçu.

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