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Le blog d'Alain Boublil

 

La nouvelle Californie

Elle est chinoise, ce qui n’est pas surprenant et sa capitale est Shenzhen, une ville de 13 millions d’habitants qui n’était qu’un village de pêcheurs à la fin de l’ère de Mao. On y découvre des kilomètres d’avenues bordées de gratte-ciels dont les architectes ont rivalisé d’imagination et d’audace. A côté, le quartier d’affaires de La Défense, pourtant l’un des plus importants en Europe, fait figure de pâté de maison. C’est là que tout a commencé. Deng Xiaoping l’avait choisi, à proximité de Hong-Kong, pour en faire l’une de ses « zones économiques spéciales ». Une législation particulière protégeait les investissements étrangers et donnait aux entreprises une grande latitude de gestion. Son projet passa longtemps inaperçu en Occident, et surtout en France. Il consistait à s’appuyer, pour transformer l’économie chinoise, sur les grands hommes d’affaires qui avaient fui leur pays après la révolution de 1949. Ils s’étaient réfugiés à Hong-Kong, à Singapour et dans certains pays voisins, la Thaïlande et la Malaisie, où ils avaient très vite joué un rôle important dans la communauté des affaires locale. Au bout de quelques années les grands groupes industriels américains, japonais et dans une plus faible mesure, européens, s’implantèrent dans la région.

Trente ans plus tard, la Chine était devenue la deuxième économie mondiale. Une grande statue en bronze rend hommage au leader chinois visionnaire, au sommet d’une colline dans le Parc du Mont Linhua à Shenzhen. Il est debout, souriant, déterminé et… en marche, droit devant lui, le regard fixé vers l’avenir. Xi Zhongxun, le père de l’actuel président, Xi Jinping, faisait partie de ses collaborateurs et Deng Xiaoping l’avait chargé de l’exécution du projet concernant Shenzhen. A la veille des commémorations des 40 ans de réformes en Chine, en décembre, son fils a cherché à attribuer à son père, un rôle plus important. Cette idée a été rapidement abandonnée mais elle illustre l’importance historique de ce qui s’est passé dans le sud de la Chine à cette époque. Et autant Deng Xiaoping que le père de Xi Jinping seraient fiers des résultats obtenus.  

Shenzhen n’a pas seulement attiré les investissements étrangers. La ville a été le berceau de nombreux acteurs majeurs des nouvelles technologies, dans la communication comme dans les applications sur le web. Huawei, le géant des télécommunications et Tencent qui est l’équivalent chinois de Facebook y ont leur siège et emploient des dizaines de milliers de personnes dans leurs centres de recherche. BYD, le pionnier en Chine de la voiture électrique et de la fabrication de batteries y a établi ses principaux centres d’activité. Pour accueillir cette nouvelle population, la ville n’a pas seulement construit des logements. Elle a su mettre en place en un temps record un système de transports en commun efficace qui réduit les déplacements quotidiens en automobiles. L’air y est bien moins irrespirable qu’à Pékin ou à Shanghai, mais pour une autre raison. Très tôt, la province du Guangdong a fait le choix du nucléaire, au départ, sous l’influence des compagnies d’électricité de Hong Kong.

C’est d’ailleurs, et c’est regrettable, l’un des rares domaines où l’industrie française est présente dans la région. Framatome et EDF, avec leur partenaire chinois ont d’abord construit deux centrales, à Daya Bay au début des années 90, puis quatre autres à Ling Ao peu après. Les deux sites sont à quelques kilomètres de Shenzhen qui ne subit donc pas les rejets des centrales à charbon comme dans les autres grandes villes chinoises. Sur l’autre rive de la rivière des Perles, plus près de Canton, à Taishan, deux EPR ont été construits. Le premier a été raccordé au réseau cet été et le second devrait l’être l’an prochain, donc avant la mise en service de Flamanville. A la différence de la France, la Chine n’a pas interrompu ses programmes nucléaires et les entreprises n’ont pas perdu les compétences indispensables pour mener de tels projets à bien. La coopération exemplaire entre EDF, Areva, comme l’entreprise s’appelait à l’époque et leur partenaire chinois a facilité la résolution des problèmes qui surgissent inévitablement lors de l’exécution de projets d’une telle ampleur. Lors de sa visite dans la région, le Premier ministre aurait été bien inspiré d’aller saluer ce succès. Il ne l’a pas fait, peut-être parce qu’il craignait les foudres de Nicolas Hulot. C’est vrai que cela se passait avant que ce dernier démissionne. Le Guangdong a ainsi fait le choix du nucléaire puisque qu’il accueille près de 40% des centrales en activité ou en cours de construction dans le pays.

L’énergie et les nouvelles technologies ne sont qu’un des aspects du dynamisme de cette « Nouvelle Californie ». Deux projets majeurs d’infrastructure viennent d’aboutir. Hong-Kong, Shenzhen et Canton sont désormais reliés par une ligne à grande vitesse. Ce n’est pas tant le gain de temps que procure cette nouvelle facilité de transport qui importe mais le fait que la région est maintenant reliée à l’ensemble du réseau à grande vitesse chinois. En même temps, un gigantesque pont permet désormais de relier Hong-Kong à Macao. Sa mise en service a d’ailleurs provoqué des embouteillages. Les autorités n’avaient pas prévu un tel succès. L’objectif est de mieux intégrer les trois principaux centres d’activité situées autour de la Rivière des Perles. Hong-Kong reste la grande plate-forme financière, même si Shenzhen a des ambitions dans ce domaine. Macao sera dédié au tourisme et aux activités culturelles avec ses casinos et son festival du cinéma qui rencontre un succès croissant. Quand on sait l’importance du cinéma et des jeux vidéo en Chine, on n’est pas surpris. Enfin Shenzhen et ses villes voisines comme Dongguan s’affirment comme des points clefs du développement industriel de la région.

Celle-ci se situe donc à l’avant-garde dans l’évolution du modèle de croissance de la Chine. Face aux régions du centre et surtout du nord du pays, qui doivent fermer leurs mines de charbon et restructurer leurs industries lourdes, son dynamisme est garanti et devrait permettre de compenser les pressions à la baisse sur la croissance chinoise observées depuis plusieurs années. Elle est aussi favorisée par sa position géographique. C’est l’un des points de départ et d’arrivée des « Nouvelles Routes de la Soie » rebaptisées « Belt & Road Initiative ». Les ports de Canton et de Hong-Kong vont profiter de l’accroissement du trafic. Le pari des autorités chinoises lorsqu’elles lancèrent cette politique consistait, en favorisant le développement de ses voisins, à en faire de nouveaux clients pour son industrie. Le secteur de l’automobile en fournit un bon exemple. La Chine a exporté près d’un million de véhicules en 2017, dont plus de la moitié vers des pays concernés par la BRI. Ils ont été chargés sur les ports du Guangdong.

Ces résultats sont impressionnants et tout permet de penser qu’ils ne constituent qu’un début. Mais ils laissent aussi un goût amer. Si l’on excepte la construction de centrales nucléaires, la France, et ses entreprises, n’ont pas su anticiper la transformation économique majeure de cette région de près de 50 millions d’habitants, dont la moyenne d’âge est une des plus basses du pays et qui va bénéficier de l’allègement des restrictions concernant les naissances. Toutes les conditions sont réunies pour que la consommation des ménages s’accélère encore. Il n’est pas trop tard pour que nos entreprises le comprennent. Encore faudrait-il que nos dirigeants économiques et politiques fassent l’ascension du Mont Linhua et réalisent ce qui peut arriver quand on est réellement « en marche »…