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Le blog d'Alain Boublil

 

Les contradictions de Donald Trump

L’omniprésence du président américain dans les médias et sur les réseaux sociaux a un inconvénient qu’il ne semble pas avoir complètement maîtrisé : pour attirer l’attention il doit se répéter le moins possible et annoncer chaque fois quelque chose de nouveau. Cela le conduit à prendre des décisions et à porter des jugements qui sont souvent contradictoires. Le plus inquiétant, c’est qu’il n’en semble pas conscient quand il ne tombe pas dans le déni. C’est cette instabilité de la politique économique et de la diplomatie américaine qui constitue une menace pour les marchés financiers comme pour les relations internationales, avec deux risques qu’il ne faut pas sous-estimer : l’apparition de conflits et le déclenchement de crises financières.

La situation des marchés pétroliers en fournit un premier exemple. En sortant de l’accord nucléaire iranien et en annonçant des sanctions très lourdes contre ce pays, le président américain avait déclenché une forte hausse des cours. Si l’Iran qui est un grand exportateur ne peut plus servir ses clients, des tensions sur l’offre de pétrole vont apparaître. La vive hausse du cours du brut coté sur la plateforme d’échanges de Brent qui a atteint à la fin du mois d’octobre 85$ n’était donc pas surprenante. Traditionnellement, le pétrole cher est dans l’intérêt des Etats-Unis car cela favorise les « majors », le plus souvent américaines et toute l’industrie en charge de l’extraction. C’est d’autant plus vrai depuis la révolution du pétrole de schiste qui nécessite des cours élevés pour rentabiliser les investissements et désendetter les nouveaux producteurs. Mais cela a des conséquences politiques. La hausse des prix s’est immédiatement répercutée sur les ménages américains, ce qui était mauvais dans la perspective des « mid-terms » et surtout de l’élection de 2020. Donald Trump a alors fait brutalement marche arrière en sortant du champ des sanctions les exportations iraniennes de pétrole vers ses principaux clients et notamment la Chine, étonnant paradoxe, l’Inde, le Japon et la Turquie. Les cours se sont immédiatement retournés et sont retombés en dessous de 70$. Cela a provoqué la fureur de l’Arabie saoudite, pourtant le principal allié de Washington dans la région. Elle a annoncé, en guise de rétorsion, la réduction de ses exportations à hauteur de 500 000 barils par jour. La prochaine réunion de l’OPEP au début du mois de décembre devrait donc avoir pour objet de faire remonter les cours.

Deuxième exemple, la guerre commerciale avec la Chine. L’établissement de lourds droits de douane pèse sur les entreprises américaines qui avaient organisé leur approvisionnement en délocalisant une partie de leur processus de production pour réduire leurs coûts et offrir à leurs clients un meilleur rapport qualité-prix. Il en va de même pour la grande distribution, Walmart en tête, qui se fournit directement sur place. A la veille de Noël, cela ne sera pas sans impact sur les prix. L’alternative, pour ces entreprises, serait de comprimer leurs marges mais cela aurait pour conséquence une réduction de leurs résultats et une chute du cours de leurs actions. Les performances de Wall Street avaient dépassé celles de toutes les autres places financières dans le monde jusqu’à l’annonce des sanctions à l’égard de Pékin. Elles avaient été attribuées, à tort ou à raison, à l’action de Donald Trump. Un changement durable du comportement des investisseurs remettrait en cause ce jugement. Doit-on s’attendre alors à  un renversement de l’attitude du président américain vis-à-vis de la Chine comme il l’a fait avec l’Iran ? On ne peut l’exclure.

Cette politique protectionniste a eu aussi comme effet de réalimenter les anticipations inflationnistes. La baisse des cours du pétrole ne sera pas suffisante, si elle se pérennise, pour compenser la hausse des coûts des productions industrielles. La banque centrale américaine sera donc dans l’obligation de poursuivre et même d’accélérer sa politique monétaire de normalisation et de continuer à relever ses taux d’intérêt. Nouvelle contradiction, cela a mis le président américain en colère. Il a fait des déclarations enflammées et mis en cause la politique de la Réserve fédérale alors qu’elle résultait directement de ses propres choix. Même si la Fed n’est pas juridiquement indépendante comme la BCE par exemple, ce type d’intervention est très rare. La hausse des taux d’intérêt, à un moment où, en Europe, ils restent à un très faible niveau, a provoqué le rebond du dollar qui a eu pour première conséquence de rendre moins chères les importations américaines en provenance d’Europe et de Chine. Le déficit commercial ne se réduira donc pas et la politique visant à favoriser le rapatriement d’activités industrielles aux Etats-Unis sera mise en défaut. Nouvelle contradiction. En réalité le protectionnisme nuit aux intérêts du pays, contrairement à ce que pense son président.

S’il y a un perdant, il y a aussi des gagnants. Les exportateurs européens voient, du simple effet du taux de change, leurs marges augmenter et ne sont pas disposés à investir aux Etats-Unis pour contourner les éventuelles restrictions aux échanges que seraient susceptibles d’instaurer l’administration Trump. Quant à la Chine, personne ne pourra plus l’accuser de manipuler sa monnaie. Ce sont les Etats-Unis qui sont à l’origine de la réévaluation du dollar contre le yuan, comme d’ailleurs contre toutes les autres devises et non les autorités chinoises. Le pays continuera donc à financer le déficit extérieur américain, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, et en tirera des profits financiers grâce aux taux de plus en plus élevés pratiqués par la Fed et à la hausse du dollar.

Ces contradictions n’ont pas échappé aux marchés financiers. Wall Street avait été dopé par les réformes fiscales, avec la baisse de l’impôt sur les sociétés et surtout la possibilité de rapatrier avec une faible imposition les profits accumulés à l’extérieur du pays par les entreprises américaines. L’indice Dow Jones a reperdu en quelques semaines les gains réalisés en cours d’année  et le NASDAQ a subi une correction sévère avec une chute de 15% en trois mois. Jusqu’à présent, les observateurs jugeaient que sa politique était la bonne puisqu’elle se traduisait par une croissance élevée permettant la baisse du chômage et profitant aux entreprises comme en témoignait la bonne santé de la bourse. Ce sont tous ces résultats qui sont aujourd’hui fragilisés. Le déficit budgétaire atteint des niveaux très élevés et la hausse des taux d’intérêt va rendre son financement de plus en plus couteux. Aucun progrès n’est à attendre du côté des échanges commerciaux et le déséquilibre extérieur des Etats-Unis ne se réduira pas.

On est là au cœur des contradictions de la politique de Donald Trump. Son isolationnisme et ses critiques acerbes contre le multilatéralisme ne cessent de s’amplifier. Ses attaques à l’égard de ses partenaires historiques et des fournisseurs des entreprises américaines, laisseraient penser qu’il n’a pas besoin d’eux et que l’économie de son pays est en mesure, toute seule, de faire face à ses besoins et à ses obligations. Au même moment, cette politique accroit l’endettement extérieur des Etats-Unis et les rendent de plus en plus dépendant sur le plan financier de ces mêmes partenaires dont on dénonce en permanence le comportement.

Face à cette contradiction, il n’y a que deux issues possibles. Le président américain revient à la table des négociations et clôt cet épisode fâcheux, en rupture complète avec l’évolution du monde. Il peut aussi persévérer et accroître les tensions internationales jusqu’à la rupture. Les Etats-Unis seraient alors, comme en 2007, l’épicentre d’une crise économique et financière majeure.