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Le blog d'Alain Boublil

 

La diplomatie-spectacle

L’accord vague entre la Corée du Nord et les Etats-Unis sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, et non sur la seule Corée du Nord comme cela était exigé initialement par Washington, ne doit pas faire oublier le psychodrame auquel nous avons assisté à l’occasion du G7. Les dirigeants politiques doivent désormais s’interroger sur l’avenir de ce type de manifestation. Créées en 1975 à l’initiative de la France, ces rencontres avaient pour but de permettre aux grandes puissances occidentales et au Japon de dialoguer sur les questions économiques et d’essayer de trouver des positions communes sur les principaux enjeux commerciaux et monétaires. Il n’en n’est jamais rien sorti de déterminant et cela n’a pas permis d’éviter la montée des déséquilibres et des crises qui en résultaient. Mais l’image de leurs dirigeants  auprès de leurs peuples respectifs en sortait renforcée quand ils posaient ensemble pour une sorte de photo de famille. L’admission de la Russie en 1997 donna une nouvelle signification à l’évènement : on tirait les conséquences de la fin de la Guerre Froide et ces réunions au sommet confortaient le climat de paix.

Mais l’exclusion de Moscou à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014 fit perdre au G7 cette dimension politique et globale, d’autant que de nouvelles grandes puissances économiques avaient émergé et restaient tenues à l’écart, comme la Chine et l’Inde. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si pendant que les dirigeants occidentaux et japonais s’affrontaient au Canada, un autre sommet réunissait à Qingdao les membres de l’Organisation de Coopération de Shanghai. Créée en 2002 à l’initiative de Pékin, ce groupe rassemble la Chine, la Russie et cinq républiques d’Asie centrale auxquelles se sont joint en 2017 l’Inde et le Pakistan. Le communiqué final de cette réunion prône la pacification des relations économiques et la libéralisation des échanges au moment où au Canada le thème dominant était l’instauration de droits de douane et les restrictions aux échanges. L’une des leçons à tirer, parmi bien d'autres, de cet échec diplomatique majeur est que la composition actuelle du G7 est obsolète.

Les conséquences du comportement du président des Etats-Unis ne doivent pas être exagérées. Il risque, et son pays avec lui, d’en être les premières victimes. Personne ne pourra s’empêcher de penser qu’un accord signé, même s’il a donné lieu à des discussions approfondies, peut très bien être remis en cause sur un simple coup de tête. La crédibilité de la signature des Etats-Unis est désormais affaiblie. C’est cette situation nouvelle, bien plus que le credo protectionniste de Donald Trump qui est inquiétante parce qu’elle va devenir un facteur permanent d’instabilité. Par le passé, les menaces venaient de crises politiques locales, comme au Moyen-Orient ou de l’instabilité des pays émergents, en Amérique latine durant les années 80 ou dix ans plus tard, lors de la crise asiatique ou encore des excès des marchés financiers, comme lors de la dernière crise. Cette fois, le leader d’un pays occidental essentiel ajoute aux risques de crise par son comportement.

Le spectacle donné et recherché est plus inquiétant que la philosophie qui anime son auteur. La mondialisation est irréversible. Les innovations ont permis un abaissement des coûts de transports des marchandises et les nouvelles technologies ont rendu possible un accès universel aux données. Les entreprises comme les consommateurs ne vont certainement pas y renoncer et ce ne seront pas des taxes sur quelques produits qui inverseront les tendances.  Elles ne peuvent, au pire, qu’isoler les Etats-Unis, affaiblir les entreprises américaines, renchérir le coût de la vie dans le pays et peser sur le pouvoir d’achat et la croissance. On ne redéfinit pas en un jour les chaînes d’approvisionnement d’une industrie. On ne provoque pas des mesures de rétorsion susceptibles de frapper les rares secteurs exportateurs du pays quand on a un tel déficit commercial. On ne cherche pas à humilier ses créanciers. Car là est le plus étonnant des paradoxes. La dette extérieure américaine est le résultat d’années de déficit budgétaire et extérieur. Elle a atteint une taille considérable. Elle est financée par les Etats qui ont, eux accumulé des excédents. Les deux parties ont donc intérêt à s’entendre. Mais ce qui est chaque jour plus préoccupant, c’est que le président des Etats-Unis ne semble pas avoir mesuré l’ampleur de la fragilité financière de son pays qui compte sur les épargnants étrangers pour financer ses déficits.

L’Europe ne doit pas se laisser impressionner. Ce nouveau contexte doit être, au contraire, un facteur de consolidation de l’Union au moment où elle apparait divisée et de plus en plus contestée de l’intérieur. La meilleure réponse à Donald Trump, c’est le renforcement du rôle l’euro. Pour s’affranchir de la domination financière et désormais juridique du dollar, il est urgent d’agir pour accroître sa place dans les transactions internationales, plutôt que de s’obnubiler sur des règles de fonctionnement intérieur et de gestion des finances publiques, au demeurant largement obsolètes. La Chine l’a compris depuis longtemps et a adopté il y a près de dix ans une stratégie d’internationalisation de sa monnaie, le yuan, qui lentement mais avec détermination, vise à rendre le pays moins dépendant du dollar. Les multiples foyers de contestation de l’euro à l’intérieur de la zone doivent donc être fermement mis en face de leurs responsabilités : que pèseraient, dans l’avenir, un mark, un nouveau franc ou une lire face au dollar ?

L’échec du G7 ne doit pas non plus donner l’illusion à certains, notamment dans notre pays, que l’on entre dans une phase de « démondialisation ». C’est exactement le contraire qui va se produire et la concurrence internationale deviendra de plus en plus intense et parfois violente. Il est indispensable de mener en France un travail de pédagogie économique en profondeur  car nos dirigeants comme l’immense majorité de la population ne semblent pas avoir compris les ressorts de cette tendance et ne cesse de mettre sur le dos de cette nouvelle situation du monde nos difficultés intérieures, notre déficit extérieur et le niveau du chômage. On cite souvent le cas de l’Allemagne qui aurait bien mieux réussi que nous mais il y a aussi l’Italie qui a un excédent extérieur considérable. L’explication ne vient pas du concept abstrait de « compétitivité » mais du comportement des agents économiques, des relations des entreprises entre elles et de l’attitude des consommateurs. Ceux-ci n’ont toujours pas compris que ce sont leurs achats qui déterminent le niveau de leur emploi. Arnaud Montebourg avait, en son temps, pour remédier à ces faiblesses, lancé le concept de « patriotisme économique ». C’était maladroit car le terme évoque un sacrifice. Or en matière économique, le soin apporté au choix de ses achats ou de ses fournisseurs, se traduit à terme par un avantage concret et non par un sacrifice, ce qu’ont bien compris les agents économiques allemands et italiens qui profitent ainsi des emplois et des revenus générés par leurs décisions.

Les spectacles donnés au Canada et à Singapour ne doivent pas nous détourner de l’essentiel. La meilleure réponse aux excès américains, facteurs de tensions économiques internationales, réside dans le renforcement de l’Europe. Plutôt que de sacrifier le projet à la tentation populiste ou au repli sur soi, les dirigeants européens doivent se mettre au travail pour faire aimer l’Europe à leurs peuples. Le paradoxe, c’est qu’ils viennent de découvrir qu’ils ont un nouvel allié pour y parvenir : Donald Trump.                

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