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Le blog d'Alain Boublil

 

Europe : le défi fiscal

Le débat intervenu lors de la dernière réunion des ministres européens de l’Economie sur la taxation des entreprises numériques n’a pas trouvé de conclusion, malgré le soutien de la Commission Européenne. Le contexte international n’était certainement pas favorable. La plupart de ces entreprises étant américaines, une décision risquait d’apparaître comme une riposte aux projets protectionnistes de Donald Trump au moment où l’Europe négocie une exonération des taxes sur l’acier et l’aluminium. Il était inutile de donner l’impression de faire de la surenchère et d’accroître les tensions à un moment où les marchés financiers sont nerveux et redoutent le déclenchement d’une véritable guerre commerciale qui aurait des conséquences néfastes pour la croissance dans le monde entier. La question posée n’était pourtant pas sans objet. L’impossibilité pour les Etats de faire acquitter à ces entreprises une juste imposition sur les profits qu’elles réalisent en Europe n’est qu’un nouvel avatar du défi fiscal posé à l’Europe.

Auparavant, les dirigeants français et allemands avaient convenu de rouvrir le dossier de l’harmonisation de l’imposition des sociétés, véritable serpent de mer. Depuis plus de dix ans, dans le cadre européen comme à l’OCDE, peu de progrès ont été réalisés dans ce domaine. Cette question est particulièrement aigüe dans la zone euro où des dispositions très contraignantes sont imposées en matière de déficit et d’endettement public mais où, en même temps certains Etats-membres se livrent à une vive concurrence en matière fiscale qui n’est pas sans conséquences sur les recettes des systèmes de protection sociale et sur la collecte de l’Impôt sur les sociétés. Ce sentiment général d’impunité pour les uns et d’efforts imposés aux autres n’est pas étranger à la montée des populismes dans de nombreux Etats et le recul à peu près partout de l’adhésion au projet européen.

L’harmonisation de la fiscalité sur les sociétés est le sujet le plus difficile à traiter pour deux raisons. Il est d’abord d’une grande complexité. Le débat porte souvent sur le taux et ses modifications, dans un sens ou un autre. Cette présentation est facilement compréhensible et recueille l’attention des médias. On vient de l'observer aux Etats-Unis avec la réforme engagée par Donald Trump. Mais l’efficacité d’une harmonisation des taux, l’adoption d’un taux unique ou, comme pour la TVA, d’une fourchette resterait très limitée si l’on ne procède pas en même temps à une harmonisation de l’assiette de cet impôt. Or c’est très difficile, sinon impossible, en raison de sa définition. Il suffit, par exemple, de lire les dizaines de pages de nôtre Code général des Impôts pour mesurer le degré de détail et les multiples exceptions retenues pour arrêter la base qui servira au calcul de l’impôt. On comprend alors à quel point il sera compliqué pour tous les Etats de se mettre d’accord. Car, et c’est là la seconde raison de l’échec des tentatives dans ce domaine, s’agissant d’un impôt direct, l’unanimité pour procéder à une harmonisation, est requise. Il est évident que les Etats qui jouent sur la fiscalité des sociétés pour attirer des entreprises au détriment des autres membres de l’Union, ont alors le moyen de bloquer toute discussion. Ce sera le cas des deux Etats leaders dans ce domaine, l’Irlande et le Luxembourg. Pourtant, des solutions existent pour contourner ces difficultés et avancer.

L’Irlande est devenue une terre d’accueil pour les grands groupes américains et japonais qui y ont installé des filiales dont le seul objet était de conditionner ou de réaliser l’assemblage final de biens destinés à l’Union Européenne. Les exportations irlandaises de produits pharmaceutiques ont atteint 38 milliards de dollars en 2017 et celles de matériel électronique et de mesure 23 milliards. Pour payer moins d’impôts, ces groupes expédient les composants au prix le plus bas possible et réexportent le produit final au prix du marché localisant leurs marges là où le taux d’imposition est le plus faible. Cette manipulation par l’intermédiaire des prix de transfert est même parfois accompagnée, comme ce fut le cas pour Apple qui fait l’objet d’une procédure européenne, d’un accord particulier encore plus favorable. La question est connue depuis longtemps mais l’ampleur de l’optimisation fiscale ne cesse de s’accroître. Quand il a fallu contribuer au sauvetage des banques irlandaises au moment de la crise de l’euro, ses partenaires ont essayé sans succès de convaincre l’Irlande de mettre un terme à ces pratiques en relevant le taux de l’impôt sur les sociétés. Face au risque de crise qui aurait pu devenir systémique, Bruxelles n’a pas insisté. Une nouvelle opportunité s’ouvre avec le Brexit. Il est vital pour Dublin d’obtenir des dispositions lui permettant de faire transiter par l’Angleterre la production des groupes installés dans le pays. L’Europe doit faire alors faire preuve de fermeté et d’exiger, en échange qu’un terme soit mis à cette « ballade irlandaise » qui fait perdre chaque année des milliards de recettes fiscales aux autres pays.

Le cas du Luxembourg est plus facile à traiter. La spécialité du pays, ce sont les sociétés « boîte aux lettres ». Immatriculées dans le pays, elles n’ont d’autre objet que de percevoir des redevances de leurs sociétés-mères et de ses filiales, pour l’utilisation d’une marque, d’un brevet ou même de prestations fictives. Les sociétés situées dans les autres pays réduisent ainsi l’assiette de leurs impôts. Les sommes récoltées ne subissent qu’un très faible prélèvement et sont renvoyées, ou non suivant les cas, vers la société-mère et parfois même dans un paradis fiscal. La boîte-aux-lettres n’emploie la plupart du temps aucun salarié. Son gérant se contente d’ouvrir un compte en banque et de suivre les encaissements avant de les réexpédier. Tout cela s’exerce dans la plus grande transparence et l’activité de ces sociétés fait l’objet de publications régulières sur le registre officiel de Luxembourg, Legilux que chacun peut consulter sur Internet. Le point faible du dispositif réside dans le statut du gérant. Comme il n’a pas de réelle activité, il peut accepter des dizaines, voire une centaine de mandats, ce qui confirme, si besoin était le caractère fictif de cette activité. Pour mettre un terme à ces excès, il suffirait qu’une directive européenne limite le nombre de mandats qu’une personne physique ou morale peut exercer, comme cela existe, par exemple en France, pour les postes d’administrateur de sociétés. Dans ce domaine, il n’y a pas besoin de l’unanimité. Une fois adoptée, les officines qui sont à l’origine de ces pratiques, pour se mettre en conformité avec la directive, devraient recruter des milliers de gérants, ce qui ne se fera pas sans mal et sans coûts et ne passera pas inaperçu. Ces recherches attireront forcément l’attention des medias et le nom des sociétés qui se livrent à ces pratiques sera connu du grand public. Cela portera atteinte à leur réputation et les incitera à  réduire, sinon à mettre un terme à ces pratiques.

L’Europe ne peut pas à la fois imposer des règles budgétaires contraignantes et se montrer laxiste sur le plan fiscal. De leur côté, les entreprises ne peuvent pas prétendre tirer tous les avantages de la libre circulation des biens et des personnes et rechercher en permanence toutes les manières de se dispenser de leurs obligations en exploitant à leur profit les règles ou l’absence de règles européennes. Le projet européen traverse une crise de confiance. Elle résulte des mécanismes institutionnels et de certains comportements nationaux. A chacun de prendre ses responsabilités car ceux qui en ont été les premiers bénéficiaires seront les premiers affectés si l'Europe entre dans une crise grave.      

         

 

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