Vous n’êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

Inscription

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

La révolution des énergies fossiles

L’innovation déclenche des passions. On ne compte plus les commentaires et les livres qui expliquent que l’intelligence artificielle transformera nos vies pour le meilleur selon les uns ou pour le pire selon les autres. La voiture électrique ou les véhicules autonomes nous conduiront peut-être à repenser nos modes de déplacement. Le smart-phone a changé notre quotidien. Internet n’est plus réservé aux activités professionnelles et nous accompagne en permanence et partout où nous allons. Mais ces passions ou cet intérêt sont sélectifs. La double révolution du gaz et du pétrole de schiste n’avait été prévue par personne, en tout cas en France. Elle fait même encore l’objet d’un déni chez nous où toute nouvelle exploration est interdite par la loi. Pourtant elle a bouleversé une activité stratégique, l’énergie avec des conséquences économiques et politiques majeures. La rapidité de ces transformations vient de ce qu’elle correspond à une attente des agents économiques. Aucune innovation aussi spectaculaire soit-elle, comme la conquête de la Lune, les avions supersoniques ou à décollage vertical, n’a de débouchés significatifs si elle ne répond pas une attente.  

Comme ces changements portent atteinte à des intérêts, ils sont souvent niés et parfois combattus. On a longtemps répandu l’idée que les ressources étant limitées, un jour viendrait où la production de pétrole plafonnerait, c’était la théorie du « peak oil ». On situait ce pic autour de 85 millions de barils/jour. La production en 2017 a atteint 94 millions et les prévisions pour les cinq ans à venir dépassent le seuil de 100 millions de b/j. Pour se rassurer, les mêmes experts ont alors inventé une nouvelle théorie, celle du « peak » de demande. Il ne servira à rien de produire autant de pétrole puisque on en aura d moins en moins besoin. Cette prédiction reste à vérifier. L’innovation dans le secteur de l’automobile qui est l’un des principaux débouchés du pétrole permet d’en réduire sensiblement la consommation. Aux Etats-Unis où l’essence est peu taxée, les voitures sont très voraces. Le renouvellement du parc avec des véhicules moins consommateurs permettra à la demande de carburant de stagner voire de décroître légèrement mais le mouvement sera lent. L’essor des véhicules électriques reste problématique car tout dépendra, non de l’autonomie de ces véhicules comme on le croit, mais des capacités et surtout de la disponibilité des installations de recharge, aux-Etats-Unis comme en Europe. La demande de pétrole ne devrait donc non pas décliner mais se déplacer vers l’Asie centrale, la Chine et l’Inde où le taux de possession d’un véhicule est encore très inférieur à ce que l’on observe dans les pays développés.

C’est ce déplacement de la demande qui va entrainer un profond changement lequel ne sera pas sans conséquences géopolitiques. Les Etats-Unis en seront l’un des grands bénéficiaires. Grâce au pétrole de schiste, la production est passée de 6 millions de b/j en 2007 à 10 millions en 2017 soit le même niveau que la Russie et l’Arabie saoudite. La chute des prix à partir de 2014 avait fait croire que cela porterait un coup d’arrêt aux nouvelles techniques de production. Il n’en a rien été et des réductions importantes de coût sont intervenues. Un prix autour de 60$ permet au pétrole de schiste américain d’être compétitif. Les Etats-Unis produisent maintenant les deux tiers de leur consommation au lieu d’un tiers il y a dix ans. La capacité des nouveaux gisements découverts au sud du Texas, dans le « Permian basin » est telle que les raffineries américaines n’étaient pas en mesure de les traiter. L’administration Obama a donc mis fin en 2015 à l’interdiction d’exporter qui remontait au premier choc pétrolier. Certains pipe-lines font l’objet de travaux pour pouvoir fonctionner dans les deux sens et acheminer le pétrole non plus vers le nord mais vers les ports sur le golfe du Mexique. D’autres sont en construction. Dans les deux cas, il s’agit d’accroître les capacités d’exportation américaines de pétrole. L’arrivée d’un nouvel acteur sur le marché international  change la donne. Jusqu’à présent, c’était l’OPEP qui fixait les règles du jeu. Dans l’avenir, elles résulteront d’un accord entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis. En face se trouvent la Russie et l’Iran. Ce n’est donc pas un hasard si ces deux alliances s’opposent l’une à l’autre dans le conflit du Moyen-Orient.

L’autre révolution, celle du gaz de schiste, aura des conséquences d’une nature différente. La dénonciation, et dans certains pays le projet largement utopique, de bannissement des énergies fossiles, était motivé par la lutte contre le réchauffement climatique. L’abondance nouvelle de gaz naturel, et qui n’est pas prêt de cesser si l’on songe aux immenses réserves qui se trouvent en Asie et en Amérique latine, a provoqué une baisse des cours et a rendu les centrales électriques fonctionnant au gaz naturel plus compétitives que celles au charbon. En même temps, les possibilités nouvelles de transport grâce aux progrès accomplis dans la liquéfaction, tant sur les bateaux que dans les installations portuaires, ont permis à cette énergie de fournir un nombre croissant de pays.  

Or l’utilisation du charbon génère deux fois plus d’émission de CO2 que celle du gaz naturel, sans compter les particules qui empoisonnent l’air alentour. Les Etats-Unis ont très vite réagi : les centrales à gaz ont vu leur part dans la production d’électricité doubler en quelques années au détriment du charbon. C’est une nouvelle preuve que quand une innovation répond aux attentes du marché, celle-ci peut s’imposer très vite. Les émissions de CO2 du pays ont baissé depuis 2015, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes quand on sait la position de Donald Trump sur l’Accord de Paris. Le cas n’est pas isolé et la Chine s’est engagé dans la même direction : sa consommation de gaz naturel a triplé en dix ans. L’Europe, et surtout l’Allemagne, font exception et résistent pour protéger des emplois dans les mines de lignite. Mais c’est un combat d’arrière-garde et le nouveau gouvernement à Berlin, aura du mal à continuer à s’opposer à l’instauration de règles européennes plus strictes, notamment sur le marché du carbone.

La révolution des énergies fossiles n’est donc pas celle que l’on croit. Il n’y aura pas, bien au contraire de disparition, mais une poursuite de la croissance de la production de pétrole et de gaz qui se substituera souvent au charbon, ce qui permettra de remplir les objectifs de réduction d’émission de CO2 et de lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Les énergies renouvelables, bien adaptées aux zones géographiques où le soleil est intense ou le vent fréquent auront besoin de modes de production complémentaires du fait de leur caractère intermittent. Dans les pays en développement, en Afrique par exemple, où l’accès à l’électricité est encore insuffisant et où la consommation progressera pendant encore longtemps du fait du dynamisme démographique, les énergies fossiles auront aussi leur place.      

La France a une culture gazière. Notre pays fut même un pays producteur, à Lacq. Nous savons construire et exploiter les gazoducs et nous maîtrisons les technologies liées au GNL. Nous avons une longue expérience en matière de distribution. Au lieu de nier l’existence d’une véritable révolution énergétique et de stigmatiser dans leur ensemble les énergies fossiles, le temps serait peut-être venu d’encourager nos entreprises, qui en ont la capacité, à en tirer profit plutôt que de rester dans le déni.