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Le blog d'Alain Boublil

 

Le combat d'arrière-garde de Donald Trump

Donald Trump a annoncé la semaine dernière qu’il allait signer un décret instaurant des droits de douane sur les importations d’acier (25%) et d’aluminium (10%). Il espère ainsi relancer la production américaine dans ces deux secteurs qu’il juge stratégiques pour la souveraineté de son pays. Cela a déclenché une série de déclarations enflammées des dirigeants européens et plus prudentes de la Chine. Ils menacent de répondre par des mesures de rétorsion. Fidèle à ses habitudes, le président américain a franchi ensuite une nouvelle étape dans l’escalade verbale en évoquant la perspective d’une guerre commerciale à propos de laquelle il ne se fait aucun doute sur la capacité de son pays à la gagner. Les marchés financiers, déjà fragilisés par les incertitudes sur la politique économique et monétaire américaine, ont très mal réagi en Europe et au Japon.

Ces réactions sont pourtant disproportionnées avec les enjeux économiques réels. Le déficit commercial des Etats-Unis a atteint près de 600 milliards de dollars en 2017. Les deux postes visés, l’acier et l’aluminium, n’y contribuent que pour environ 25 milliards. Les importations d’aluminium s’élèvent à 11 milliards, en provenance du Canada pour 5 milliards et de Chine pour 3,5 milliards. Pour l’acier et les produits transformés en acier, elles atteignent 29 milliards, essentiellement en provenance du Canada à nouveau, du Brésil et de Russie. Là encore, l’Europe n’a joué aucun rôle dans le déficit commercial américain et n’a certainement pas contribué à affaiblir un secteur jugé, à tort ou à raison, stratégique pour la sécurité et l’indépendance des Etats-Unis.

Ce n’est pas la première fois que des déclarations de Donald Trump suscitent l’émotion. Mais l’expérience a montré qu’elles n'étaient pas toujours suivies d’effet. Le mur qui devait être construit le long de la frontière mexicaine et financé par des taxes sur les importations en provenance du pays voisin attend encore qu’on pose sa première pierre. Les menaces en direction de la Corée du Nord ont eu, heureusement, l’effet inverse de celui qui était attendu puisque la Corée du Sud a multiplié les gestes de rapprochement avec son voisin, sans avoir vraiment demandé la permission de Washington. L’affaire des droits de douane est plus préoccupante car, et cela pourrait se vérifier dès cette semaine, le président américain a les moyens juridiques de mettre sa menace à exécution. Son camp, les Républicains, est très divisé sur cette politique protectionniste qui trouve pourtant des soutiens chez les Démocrates mais il n’a pas besoin dans l’immédiat de l’accord du Congrès.

Donald Trump, à cette occasion, montre qu’il est un adepte de la « vieille économie », comme certains mouvements populistes en Europe, à commencer par le Front National en France et les extrême-droites en Allemagne et en Italie. Alors que son pays a été à l’origine de la mondialisation, que ce sont ses entreprises, les fameuses multinationales, qui en ont été les principaux vecteurs, et que Wall Street et les banques américaines en vivent, il croit que les Etats-Unis pourraient sans dommage se replier sur eux-mêmes. Le choix des produits est particulièrement maladroit. La relance de la production locale mettra des années, à supposer que les investissements soient réalisés et surtout que les dirigeants des groupes concernés soient convaincus du caractère durable de cette mesure, laquelle sera forcément contestée par les autres membres de la communauté internationale. Mais pendant cette période, les entreprises américaines qui ont besoin d’acier et d’aluminium pour alimenter leurs chaines de production, vont voir leurs coûts augmenter et seront obligées de les répercuter sur leurs clients. Deux secteurs, qui figurent parmi les plus gros exportateurs de l’industrie américaine, la construction aéronautique et les moyens de transport, en seront affaiblis. La concurrence des produits finis importés qui n’auront pas eux, à subir cette surcharge sera plus intense et la compétitivité à l’exportation sera menacée. 

Le protectionnisme est une idée dépassée. La concurrence que génère l’ouverture des frontières est un facteur de progrès, à condition qu’elle s’exerce loyalement et que les pays qui participent aux échanges respectent un minimum de règles communes. Il est difficile de prétendre que les pays européens violent ces principes et Bruxelles ne s’est pas insurgé quand l’administration Obama a massivement subventionné General Motors pour lui éviter la faillite durant la crise « sub-primes ». On pourrait aussi prendre l’exemple des banques. Quant à la Chine, il est indiscutable que la situation des entreprises industrielles publiques manque de transparence mais leurs plus gros clients dans de nombreux secteurs ne sont-ils pas, depuis les réformes initiées durant les années 80, les entreprises américaines qui ont cherché réduire leurs coûts et à offrir aux consommateurs américains des produits attractifs ? La liberté des échanges a donc joué un rôle essentiel dans la réduction structurelle de l’inflation dans les pays développés. Mais ce n’est pas tout. Elle a aussi offert aux consommateurs une possibilité presque illimitée de choix entre les produits qu’ils pouvaient trouver dans les réseaux de distribution. Est-ce qu’ils considéreraient que c’est un progrès de s’en trouver privé dans l’avenir ? Assurément non.

Ces évidences apparaîtront vite et comme pour beaucoup de ses initiatives, le président américain sera bien obligé de faire marche arrière. Mais durant cette période, il faut veiller à ce que les partenaires des Etats-Unis n’aggravent pas la situation par des réactions provocantes qui ne feront qu’inciter Donald Trump à surenchérir et à déclencher une escalade dangereuse. Après tout, le niveau des exportations européennes d’acier et d’aluminium vers les Etats-Unis est insignifiant et ne justifie pas le déclenchement d’une vraie guerre commerciale, compte tenu surtout de leur important excédent commercial. Taxer les importations de Harley Davidson, comme l’a suggéré le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, est ridicule quand on observe les sommes en jeu et dangereux. S’agissant d’un produit fini, il ouvrirait la voie à une riposte américaine, par exemple sur l’automobile, qui, elle, aurait des conséquences considérables.

La Chine doit aussi se garder de tout excès. Le pays dispose d’une arme redoutable : elle est le premier souscripteur étranger et le premier détenteur de bons du Trésor américain. Tout doute sur d’éventuelles mesures de rétorsion comme la réduction d’achats de titres américains provoquerait une hausse brutale des taux d’intérêt aux Etats-Unis et serait susceptible de déclencher une crise financière internationale majeure. Les autorités chinoises en sont certainement conscientes car aucun créancier n’a intérêt à aggraver la situation de son débiteur. Elles ont aussi bien mieux compris que les européens qu’il s’agissait d’une provocation sans grandes conséquences puisque le niveau des exportations chinoises d’acier et d’aluminium vers les Etats-Unis ne justifie pas  que l’on ne tombe pas dans le piège de déclencher une escalade.  

Donald Trump est sincère quand il croit que le protectionnisme ferait du bien à l’Amérique mais il se trompe lourdement. Une guerre commerciale déboucherait forcément sur une guerre financière aux conséquences bien plus lourdes. Ce ne seraient plus seulement Main Street, le marché des biens qui en serait affecté, mais aussi Wall Street. Son entourage n’a pas réussi à le dissuader de se lancer dans ce combat d’arrière-garde pour protéger, pense-t-il à tort, l’industrie américaine. La réaction des marchés financiers si la situation s’aggravait à la suite de nouvelles provocations, pourrait être encore plus brutale que lors de la dernière crise. Cela le convaincra peut-être, lui qui durant sa carrière a déjà fait faillite, qu’il serait temps de rebrousser chemin.       

           

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