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Le blog d'Alain Boublil

 

La crise des banques centrales

Depuis plus de quarante ans, l’économie des pays développés vit une sorte de crise permanente, avec quelques rares périodes de rémission, la dernière venant de s’achever avec les secousses brutales qui ont affecté les marchés financiers au début du mois de février. Il n’en fallait pas plus pour que les institutions internationales et les économistes, qui avaient été silencieux à la veille de la crise des « sub-primes », envoient des messages d’alerte. Les inquiétudes avaient été déclenchées par une interprétation, qui se révélera erronée, des intentions d’une banque centrale à la suite de la publication d’un indicateur économique. Cela illustre bien la nouvelle place que ces organismes ont prise. Leur action attire désormais tous les regards. Elles se retrouvent partout au centre du débat et on compte sur elles pour assurer le rétablissement des grands équilibres et la stabilité financière des pays alors qu’on ne trouve nulle part, dans les différentes théories telles qu’elles sont enseignées encore  de nos jours, une telle capacité et encore moins un tel rôle.

C’est Milton Friedmann, durant les années soixante, qui pensait avoir décrit le lien entre l’inflation, la croissance et l’évolution de la masse monétaire. En gérant celle-ci à travers le niveau des taux d’intérêt, on pouvait atteindre l’objectif d’une croissance sans inflation. Il revenait à la banque centrale d’y veiller Quand l’augmentation des prix était trop forte, la pression sur la demande de biens obtenue grâce à la hausse des taux d’intérêt, permettait de corriger le déséquilibre. Pour éviter que cela se reproduise, la banque centrale avait pour mission de gérer l’évolution de la masse monétaire. La critique de cette vision monétariste de l’économie se concentra sur son aspect asymétrique. Cela marchait dans un sens, les politiques restrictives mais pas pour relancer l’activité : on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Le remède, dans ce cas, inspiré par la pensée de Keynes, c’était l’augmentation des dépenses publiques. Cette opposition entre Keynes, qui attribuait à l’Etat la responsabilité d’assurer l’équilibre que le marché n’était pas capable d’atteindre, notamment en matière d’emploi, et Friedmann qui confiait aux banques centrales ce rôle a duré des décennies. Les disciples du premier enseignaient dans des universités de la côte Est, de Philadelphie à Cambridge, tandis que leurs rivaux étaient basés à Chicago, au bord d’un lac, d’où la distinction entre les économistes de l’eau mer et ceux de l’eau douce.

Les banques centrales étaient aussi chargées de gérer les réserves en devises des Etats et d’intervenir sur le marché des changes pour que le cours ne s’écarte pas des niveaux choisis dans le cadre d'un système de parités fixes. Mais ce système a volé en éclat après les décisions américaines de suspendre la convertibilité en or du dollar puis de laisser flotter sa monnaie. La France fut confrontée au problème durant la longue période de transition qui devait mener à la création de l’Europe monétaire, complément indispensable de la liberté des échanges de biens et des services. Il se révéla très dificile de faire coexister un système de parités fixes entre les économies européennes, le SME, avec partout ailleurs des monnaies qui fluctuaient librement et brutalement comme le dollar entre 1979 et 1985. La France en subit les conséquences quand le dollar s’apprécia de même que l’Angleterre dix ans plus tard quand le pays fut la cible de spéculations massives dans la perspective de son adhésion à l’Union monétaire à laquelle elle dut finalement renoncer.

L’ouverture des marchés de capitaux et leur libre circulation constitua le deuxième changement majeur pour les banques centrales. Jusque là, les mouvements de parités étaient dictés par les soldes des échanges économiques. Un déséquilibre était corrigé, dans un sens ou un autre par une modification de parité pilotée par la banque centrale de l’Etat concerné. Progressivement, ce furent les mouvements de capitaux qui devinrent les facteurs déterminants dans l’évolution des taux de changes. Ils étaient influencés par des considérations différentes, comme des anticipations sur l’évolution des taux d’intérêt ou sur l’imminence de difficultés du système bancaire d’un Etat. Leur ampleur dépassa vite les capacités d’intervention des banques centrales des pays concernés. Le troisième changement, auxquelles elles sont confrontées depuis peu, c’est que leur principale mission, la recherche de la stabilité des prix, qui figure en tête des dispositions décrivant leur mandat, a  perdu tout objet car l’inflation a pratiquement disparu. Elles ont dû se fixer comme objectif non plus de freiner la hausse des prix mais au contraire d’agir pour qu’ils remontent jusqu’à un niveau jugé approprié. Mais il n’a jamais été démontré qu’elles disposaient des outils pour y parvenir et la situation actuelle en apporte la confirmation.

A ce paradoxe s’est ajouté un nouveau défi après la crise de 2007. Les Etats se sont lourdement endettés pour relancer l’activité, suivant la logique keynésienne. Mais cette politique n’a pas obtenu les résultats escomptés et ils se sont trouvés  à court de moyens. Ils se sont alors reposés sur  l’action des banques centrales. Mais, en même temps, on instaurait de nouvelles règles prudentielles pour réduire les risques systémiques en imposant aux banques et aux établissements financiers des contraintes qui restreignaient la transmission aux activités productives des avantages nés de cette politique expansionniste. L’argent était bon marché mais il était difficile pour les entreprises, surtout les moins grandes d’entre elles, d’en profiter.

L’impact des politiques monétaires sur l’économie réelle est donc aujourd’hui limité, soit que l’objectif est déjà atteint, comme en matière d’inflation, soit que le moyen employé se révèle au fil du temps inefficace. La seule vraie conséquence de cette situation nouvelle, c’est que les banques centrales ont vu leur rôle réduit à celui de banquiers des Etats du fait de leur politique expansionniste d'achat de titres, le "QE". Ceux-ci étant de plus en plus lourdement endettés, la baisse des taux réduisait la charge de leur dette  et ils trouvaient plus facilement des souscripteurs pour leurs émissions. Les effets de la politique monétaire pratiquée par les banques centrales se sont ainsi déplacés de l’économie réelle vers les marchés financiers, sans que cela figure dans leur mandat.

Ces institutions sont confrontées à une situation de crise permanente. La moindre déclaration, une décision mal comprise ou mal venue est capable de déclencher sur les marchés obligataires et même sur les marchés d’action des fluctuations d’une ampleur jamais vue jusqu’à présent et capable d’avoir des répercussions sur l’économie réelle. L’éclatement des bulles spéculatives peut mettre en péril des institutions financières et plonger les pays concernés dans de graves difficultés. L’effondrement des marchés d’action peut provoquer chez les ménages des effets de richesse négatifs, inciter ceux-ci à réduire leur consommation ou à cesser d’acquérir un logement, ce qui plongerait les secteurs concernés dans de graves difficultés susceptibles de déboucher sur des récessions.

On attend  des banques centrales, au nom des schémas traditionnels mais dépassés, une action et des résultats dictés par un mandat portant sur l’économie réelle, l’inflation, la croissance et l’emploi, mais l’essentiel de leur influence, pour le meilleur et aussi pour le pire, s’exerce sur les marchés financiers. Elles étaient, traditionnellement les banques des banques, elles sont devenues les banques des Etats. C’est moins grave quand elles agissent pour le compte d’un seul Etat, comme aux Etats-Unis ou au Japon. C’est plus compliqué quand leur champ d’intervention en couvre plusieurs qui ne sont pas tous dans la même situation financière, comme dans la zone euro.