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Le blog d'Alain Boublil

 

Le chômage et la durée du travail

Il y a 20 ans étaient promulgués en France les premiers textes ramenant la durée légale du travail à 35 heures par semaine. On sait combien cette mesure fut critiquée à l’époque alors qu’elle était en pratique depuis longtemps dans l’industrie allemande. Même les socialistes, qui en furent les instigateurs, ne défendent plus aujourd’hui cette réforme. Ironie de l’histoire, comme pour fêter cet anniversaire, le syndicat IG Metall vient d’obtenir, au terme d’un dur conflit social, la possibilité pour les salariés qui en feraient la demande, de ne plus travailler que 28 heures par semaine. Certes les deux systèmes sociaux ne sont pas comparables. En France, la mesure fut imposée à tous les secteurs et sans baisse des salaires. En Allemagne, le concept de durée légale n’existe pas et ce que vient d’obtenir IG Metall ne s’appliquera qu’à ceux qui en feront la demande et sans compensation intégrale de la perte de salaire.

En outre, la situation de l’emploi n’est pas la même. L’Allemagne est proche du plein emploi avec un taux de chômage autour de 4,5% alors que la France a un taux deux fois plus élevé. Les créations d’emplois dans le secteur privé ont atteint environ 500 000 postes durant ces deux dernières années et le taux de chomage au sens du BIT est redescendu juste en dessous de 9% lors du dernier trimestre mais du fait de sa solide démographie, la France est encore bien loin du plein emploi. La dernière période de forte croissance de l‘économie française remonte à 1997-2001. Le nombre d’emplois créés avait été de près de 2 millions et les études réalisées ont montré que l’adoption de la semaine de 35 heures n’avait pas gêné le retour de la croissance et avait permis la création d’un nombre d’emplois compris entre 300 000 et 400 000, suivant les différentes sources. Les gouvernements suivants n’ont pas aboli les 35 heures mais en ont limité la portée. Ils ont favorisé, en outre, le recours aux heures supplémentaires par le biais de l’exonération des charges sociales ou leur défiscalisation.

Historiquement, la baisse de la durée du travail a été considérée chaque fois comme un progrès social. Elle portait sur la durée hebdomadaire ou sur les congés payés. Pour les entreprises, elle était rendue possible par les gains de productivité générés par le progrès technique. Le mouvement a commencé avec l’agriculture et s’est étendu rapidement à l’industrie. Si l’on a atteint un seuil pour la production agricole, la robotisation et l’automatisation d’un nombre croissant de processus de fabrication vont générer encore une forte diminution des effectifs affectés à la production de biens et le mouvement affectera aussi le secteur des services. La distribution entame sa transformation, le monde bancaire est bouleversé par la généralisation des opérations en ligne comme les services postaux par la pratique des e-mails. Le secteur des transports ne sera pas épargné puisqu’on nous annonce avec enthousiasme l’arrivée prochaine de véhicules autonomes et toutes les prestations de services personnels, de la médecine au conseil financier, seront offertes grâce à l’intelligence artificielle et ses algorithmes. Même si on peut être sceptiques sur le succès de certains de ces projets, les tendances de l’innovation sont puissantes et imaginer que les emplois générés par ces nouvelles technologies permettront de compenser les réductions de postes qui en résulteront est aussi vain que de croire que la baisse des emplois dans l’agriculture a été compensée par ceux créés par l’industrie des tracteurs.

Malheureusement, en France, et c’est surprenant compte tenu du niveau élevé du chômage, aucun lien ne semble être fait entre l’évolution technologique accueillie parfois avec un certain excès d’optimisme et ses conséquences sur l’emploi. Les politiques menées depuis 2003 ont même délibérément ignoré le phénomène en réduisant la portée de la diminution du temps de travail à travers les incitations aux heures supplémentaires et la baisse des charges sur les bas salaires. Dans le premier cas on favorisait ceux qui avaient déjà un emploi au détriment des chômeurs en incitant les entreprises à augmenter la charge de travail de leurs salariés. Dans le second cas, on cherchait à freiner le mouvement d’automatisation en essayant de sauver des emplois de toutes façons condamnés tout en n’accordant aucun intérêt pour ceux, très qualifiés qui eux, étaient rendus nécessaires par les évolutions technologiques en cours. L’Allemagne a adopté en matière de temps de travail la politique inverse. Dès l’arrivée de la crise, en 2008, pendant qu’en France on défiscalisait les heures supplémentaires, devenues sans objet du fait de la récession qui s’annonçait, le gouvernement allemand décidait de subventionner le chômage partiel pour permettre aux entreprises de garder le plus longtemps possible leurs salariés pour passer cette période difficile et conserver les compétences dont elles auraient besoin dans le futur.

La divergence entre les politiques menées dans les deux pays est aussi patente en ce qui concerne le travail à temps partiel. Avec 33%, cela représente une proportion de salariés deux fois plus importante en Allemagne qu’en France. Les réductions de charges qui avaient été accordées en même temps que l'adoption des 35 heures furent même supprimées en 2007 quand en France on décida de promouvoir les heures supplémentaires. On a ainsi donné des avantages à ceux qui avaient un emploi au détriment de ceux qui en cherchaient un. Les entreprises n’ont tiré aucun avantage de cette stratégie et le contraste est saisissant entre la santé des grands groupes industriels des deux côtés du Rhin. On ne peut pas se lamenter en permanence à propos du niveau du chômage et de la perte de nos parts de marchés et citer en exemple les performances de leurs concurrents allemands tout en ignorant les stratégies opposées en matière de durée du travail, le blocage et l’encouragement à l’allongement du temps de travail d’un côté et la baisse continue mais assortie de la flexibilité nécessaire de l’autre.

Le mouvement d’innovation est irréversible et va s’accentuer. Le maintien d’un chômage élevé est un frein à la croissance car il génère des comportements d’épargne et de prudence qui n’incitent pas à l’investissement. L’exemple allemand montre que la réduction du temps de travail à condition qu’elle soit assortie de la souplesse qui permet aux entreprises de s’adapter aux fluctuations conjoncturelles, est favorable à la croissance et à l’emploi. Il n’est pas non plus douteux que la méthode employée en France il y a 20 ans n’était pas la bonne. Elle a été beaucoup trop autoritaire et n’a pas su tenir compte des spécificités relatives à la taille des entreprises et à leurs secteurs d’activité. En plus, elle a été appliquée sans discernement dans le secteur public où elle ne s’imposait pas et a généré des coûts excessifs. Mais c’était la méthode employée qui était critiquable et non les principes sur lesquels reposait la mesure.

Il n’y aura pas, en France, de baisse significative du chômage sans une politique de réduction du temps de travail qui permette un meilleur partage de celui-ci. Cette politique ne doit pas renouveler les erreurs du passé; elle doit aussi intégrer une nouvelle appréciation du travail à temps partiel choisi. Elle doit enfin offrir, dans le cadre d’une négociation, la possibilité de conclure entre les parties prenantes des accords suffisamment souples pour qu’ils facilitent les adaptations aux cycles économiques et aux mutations technologiques tout en offrant aux salariés, dans des conditions satisfaisantes, la possibilité de travailler moins. C’est cela aussi le progrès social.