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Le blog d'Alain Boublil

 

Brexit : l'impasse irlandaise

La démission de Frances Fitzgerald, la vice-Première ministre irlandaise, a permis au dernier moment d’éviter une crise politique au pays. Cela aurait ajouté à la confusion qui règne actuellement dans les discussions relatives au Brexit. Celles-ci seront le principal sujet abordé lors du sommet européen qui se tiendra les 14 et 15 décembre prochains. L’affaire est mal engagée du fait de sa complexité technique et des incertitudes politiques dans plusieurs pays. Au Royaume-Uni, la Première ministre Theresa May est affaiblie par ses mauvais résultats aux dernières élections, par les dissensions au sein de son gouvernement et par la démission forcée de plusieurs de ses ministres. L’absence de gouvernement en Allemagne n’arrange pas les choses. Une crise politique en Irlande aurait aggravé la situation ce qui aurait été d’autant plus grave que le pays va être eu centre du débat.

Jusqu’à présent, les discussions ont porté sur des sujets simples, mais pas forcément faciles à régler, comme la facture  que le Royaume-Uni devra acquitter pour solder ses engagements. Même si celles-ci promettent d’être vives, les parties en présence finiront bien par trouver un accord où personne ne perdra la face. Définir un nouveau régime pour les échanges de biens et de services prendra du temps et nécessitera sûrement des délais supplémentaires. Mais il est dans l’intérêt de chacun de trouver un accord. Le Royaume-Uni, c’est dans son ADN, cherche comme toujours à tirer avantage des relations qu’il noue et à en minimiser les inconvénients. Il voudra donc à continuer à bénéficier de ce qu’il appréciait dans l’Union tout en n’étant plus contraint par les règles qui en étaient la contrepartie. Mais ses interlocuteurs ne sont pas naïfs.

 Le deuxième terrain, qui nécessite une solution rapide, est celui-des droits des ressortissants européens au Royaume-Uni. Là aussi, Londres n’a aucun intérêt à se montrer intransigeant. Le pays a besoin de la main d’œuvre qualifiée que lui ont procurée ses anciens partenaires. La City, même affaiblie, ne peut s’en passer et l’exemple de la crise que traverse le système de santé montre à quel point l’Angleterre est tributaire du personnel qu’elle n’est pas en mesure de trouver sur son territoire. Une formule capable de satisfaire tout le monde peut être élaborée car de l’autre côté de la Manche, on y a intérêt, même si c’est cette question de l’immigration européenne qui a pesé dans le vote en faveur du Brexit. Il n’en va pas de même du troisième terrain, qui n’était pas apparu comme décisif au début mais qui revêt un caractère politiquement très sensible : les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Irlande qui elle reste dans l’Union Européenne et est soumise à ses règles.

Depuis l’Accord de 1998, qui a mis un terme aux tensions entre les Unionistes, qui voulaient le maintien dans le Royaume-Uni de l'Irlande du Nord et les Républicains qui demandaient la réunification du pays, le principe de l’égalité des droits entre tous les Irlandais a été consacré et la frontière physique entre les deux parties de l’île a disparu. Le fait que les deux pays soient restés en dehors des Accords de Schengen n’entraine pas automatiquement son rétablissement. Mais le problème reste entier en ce qui concerne les droits des Irlandais et les relations économiques avec le Royaume-Uni. Les pays européens n’ont aucune envie de faire une exception en faveur de l’Irlande, à supposer que cela soit juridiquement possible et Theresa May dépend pour conserver sa majorité à la Chambre des Communes de son allié, le Parti Unioniste Irlandais (DUP), eurosceptique, ultra conservateur et farouche partisan du maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni.

Il ne peut y avoir au sein de l’Union Européenne des citoyens ayant des droits différents. En sortant de l’Europe, les Irlandais du Nord perdent, en théorie les droits qu’ils avaient acquis alors que les Irlandais les conservent. Cette situation est contraire à l’Accord de 1998 qui avait permis la pacification de la région. Il pourrait en résulter un regain de tension entre les différentes communautés de l’île. Ce même Accord offrait de facto la double nationalité aux Irlandais du Nord. L’Europe pourra-t-elle accepter que ceux-ci aient la possibilité de résider où ils le veulent dans l’Union le jour où la sortie du Royaume-Uni sera effective ? Evidemment non. En revanche, le rétablissement d’une frontière physique entre les deux parties de l’île pour contrôler les déplacements de personnes n’est pas nécessaire puisqu’il existe un accord de déplacement entre les deux pays, indépendant des réglementations européennes. Il en va tout autrement des échanges commerciaux.

L’Irlande a construit son développement, après son adhésion à l’Union, en attirant les investissements étrangers grâce à une faible imposition des entreprises. Les grands groupes américains et japonais ont vite compris. Pour alimenter le marché européen ils ont pratiqué la « ballade irlandaise ». Ils envoyaient les composants en Irlande où ils les assemblaient pour les expédier en Angleterre et sur le continent. En jouant sur les prix de transfert, ils localisaient les marges en Irlande et envoyaient les profits faiblement taxés dans des paradis fiscaux. C’est ainsi que par exemple le pays est devenu le premier exportateur européen de produits pharmaceutiques, sans qu’il existe de producteur irlandais. Il en est allé de même avec l’électronique, le cas Apple étant emblématique. Les entreprises européennes utilisent peu la « balade irlandaise » car leurs administrations fiscales se sont donné les moyens de lutter efficacement contre la manipulation des prix de transfert.

Le Brexit fait donc peser une menace majeure sur ce qui a été à l’origine de la prospérité du pays avec des centaines de milliers d’emplois en jeu car toute la logistique de la ballade irlandaise passe par le Royaume-Uni, les produits finaux, une fois assemblés, étant envoyés le plus souvent par mer vers les ports anglais avant de repartir sur l’Europe. La fin de la liberté des échanges avec le continent provoquerait la rupture de la chaîne logistique et de tout le modèle économique irlandais. Le pays va donc essayer, pour le protéger, de demander des dérogations ou des aménagements à ses partenaires, dans le cadre des nouvelles relations avec le Royaume-Uni.

Ceux-ci avaient hésité à exiger en contrepartie des aides financières massives qui avaient été accordées à l’Irlande et à ses banques au bord de la faillite lors de la crise de l’euro, un retour à des pratiques fiscales normales. Il faut espérer que dans les mois qui viennent, les responsables de la négociation sur le Brexit aient le courage cette fois, de faire preuve de fermeté pour mettre un terme à l’optimisation fiscale massive dont bénéficient ces entreprises. La question irlandaise va ainsi devenir le point d’achoppement des discussions. Comment rétablir entre le nord et le sud de l’île une frontière sinon physique du moins juridique qui satisfasse les exigences contradictoires de toutes les parties en présence ? Quelles dérogations aux Traités européens les membres de l’Union sont-ils prêts à accepter pour préserver le modèle économique irlandais et quelles contreparties demanderont-ils ? Comment les gouvernements du Royaume-Uni comme de l’Irlande vont-ils trouver chez eux des majorités politiques pour approuver les compromis lorsqu’ils seront trouvés ?

On pensait que les discussions sur le Brexit prendraient la forme d’un face-à-face entre le Royaume-Uni et l’Europe. En réalité il y aura trois interlocuteurs ce qui rendra bien plus difficile la recherche d’une solution qui permette de sortir de l’impasse.