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Le blog d'Alain Boublil

 

Vivent les Années 80 !

Au moment où l’on décerne le prix Goncourt à un récit sur l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie et où on commémore à défaut de célébrer le centenaire de la Révolution d’Octobre, l’histoire est omniprésente. Elle a envahi le discours politique en France, où l’on fustige les politiques menées « depuis trente ans ». Au début, c’était la gauche qui était visée puisque le début de la période coïncidait avec l’élection de François Mitterrand en 1981. Mais au fil du temps, ce point de départ a glissé et fait perdre à ce réquisitoire une partie de sa dimension politique. Le principal défaut des Années 80, c’est qu’elles venaient après les « Trente Glorieuses », expression inventée par Jean Fourastié. L’économiste n’imaginait pas à quel point cette formule marquerait les esprits. Son analyse était fondée sur une réalité comptable, la croissance élevée qui suivit la fin de la guerre. Mais la reconstruction à partir d’une économie dévastée se traduit mécaniquement par une forte augmentation de la production. La France connaissait en outre une situation démographique exceptionnelle avec une pénurie de main d’œuvre due à la faible natalité entre 1914 et 1945 et aux pertes humaines causées par les deux guerres mondiales. Croissance forte et plein emploi suffisaient pour qualifier de glorieuses de telles performances. L’arrivée sur le marché du travail de la génération du baby boom comme les hausses des prix du pétrole en 1972 et 1979 mirent un terme à ce qui ne fut qu’une parenthèse plus atypique que glorieuse. La décennie qui suivit fut bien plus décisive. Elle vit la naissance du monde d’aujourd’hui. L’ignorer, c’est prendre le risque de ne pas être capable de faire les choix appropriés pour s’y adapter.

Les années 80 connurent d’abord un bouleversement géopolitique majeur avec l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev en 1985, après les brefs passages au Kremlin d’Andropov et de Tchernenko. Il mit en œuvre la « perestroïka », un programme de réformes politiques et économiques qui allaient provoquer la fin de l’Union Soviétique. Une source majeure de tension internationale disparaissait avec la Guerre Froide et un processus de désarmement était enclenché. L’économie russe n’en a pas tiré tous les avantages qu’elle pouvait en attendre  malgré ses immenses richesses en matières premières. L’instauration d’un régime réellement démocratique est encore loin mais on ne peut nier le caractère positif de cette transformation majeure sur les relations internationales et pour l’économie mondiale.  

La Chine eut une évolution encore plus spectaculaire. Les réformes instaurées par Deng Xiao Ping, après la période de transition qui suivit la mort de Mao, permettent au pays d’être aujourd’hui la deuxième économie de la planète. Des centaines de millions de personnes sortirent de la plus extrême pauvreté et le pays, grâce à sa croissance retrouva la place dans le monde qu’il avait perdu depuis un siècle et demi. La décennie se termina par les manifestations étudiantes de la place Tien An Men. La répression brutale qui s’ensuivit ternit le bilan mais la relance des réformes avec le voyage dans le sud du leader chinois allait remettre le pays sur la bonne trajectoire l’année suivante. Le monde était en passe de devenir multipolaire.

Il devenait aussi de plus en plus dépendant des marchés financiers, ce qui sera moins positif. Les Etats-Unis et l’Angleterre, sous l’impulsion de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, adoptèrent des mesures qui en transformaient le fonctionnement. Les transactions sur les monnaies, sur les titres de créances et sur les taux d’intérêt allaient y prendre une place prédominante. Leurs fluctuations eurent une lourde influence sur l’économie réelle et devinrent une source d’instabilité. La première vraie crise interviendra en octobre 1987 avec une chute en une journée à Wall Street de plus de 20%. Les opérateurs avaient mal interprété les déclarations divergentes de deux banques centrales, la FED et la Bundesbank. Ces chocs seront suivis par bien d’autres, la crise asiatique, les bulles japonaises et Internet jusqu’à la crise des sub-primes. Les dispositions nécessaires pour prévenir ces dérives n’avaient pas été prévues. Tout ne fut donc pas parfait durant les années 80.

Mais cette période fut pour l’Europe celle de la renaissance, notamment à partir de 1984 avec la nomination proposée par François Mitterrand de Jacques Delors à Bruxelles. L’admission de l’Espagne et du Portugal permit à ces pays de rompre définitivement avec leur passé récent et d’entrer dans la grande famille des démocraties. La préparation du marché unique et les premières étapes du processus qui allait conduire à la création de l’euro figuraient en tête du travail de la Commission et des Etats-membres et allaient aboutir peu après. L’Europe était ainsi prête  à accueillir le grand évènement de la fin de la décennie. Le mur de Berlin tombait sous la pression des manifestants au mois de novembre 1989, permettant la réunification de l’Allemagne, dans les conditions pacifiques et démocratiques voulues par la France.  L’instauration de régimes démocratiques dans les pays du Pacte de Varsovie allait suivre, ce qui leur ouvrirait la porte de l’Union Européenne.

La France aussi se transforma, rompant avec une culture bureaucratique qui plaçait les entreprises sous la tutelle quotidienne du ministère des finances : contrôle des prix, grâce à l’ordonnance de 1945, encadrement du crédit, géré par la direction du Trésor, contrôle des changes et des investissements étrangers et à l’étranger. C’est grâce à cela, par exemple, que la France réussit à se débarrasser de l’inflation. Pour un pays dont on dit qu’il n’aime pas se réformer, ce n’était pas si mal. Les mesures sociales adoptées au début de la décennie ne furent jamais remises en cause et les restructurations industrielles parfois douloureuses permirent de renforcer nos outils de production. La France connut ensuite et durant près de quinze ans un excédent de ses échanges extérieurs ce qui n’était jamais arrivé depuis la guerre. Enfin, dans deux domaines, l’énergie et les transports, le pays bénéficie encore des réalisations lancées alors. Les décisions fondatrices dans le nucléaire et les lignes à grande vitesse avaient été prises peu avant le décès du président Pompidou. Mais l’essentiel du parc nucléaire fut construit et mis en service durant les années 80, ce qui permit aux Français de bénéficier de l’électricité la moins chère en Europe. Quant au TGV, le projet avait été arrêté par le gouvernement Barre. Sa relance fut le grand chantier de la décennie avec en outre le lancement du tunnel sous la Manche. L’enthousiasme n’est pas retombé. Il suffit de voir l’accueil fait à l’ouverture de la ligne Paris-Bordeaux     

Quelles leçons tirer de ces rappels historiques? La première, c’est qu’en déformant le passé, on ne saurait comprendre le présent et préparer l’avenir. La mondialisation, née dans les années 80 est un phénomène irréversible. Le nier et proposer de s’en affranchir n’a aucun sens. La deuxième, c’est que sans l’Europe, la France serait dramatiquement affaiblie. Il suffit de voir l’impasse où se trouve le Royaume-Uni, incapable de proposer à ses anciens partenaires de nouvelles relations et l’inquiétude grandissante, pas seulement à la City, des entreprises qui ont besoin, pour leurs approvisionnements comme pour leurs débouchés du marché européen. La troisième leçon, c’est que les Français ont tort de regarder l’avenir avec inquiétude. Ils ont mené à bien dans le passé des projets qui ont connu de réels succès et ils ont su s’adapter à des changements d’une ampleur sans commune mesure avec les défis actuels. Aux responsables politiques de le leur rappeler.

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