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Le blog d'Alain Boublil

 

Merci Monsieur Draghi

Jeudi dernier, la Banque Centrale Européenne a rendu publiques les grandes orientations de sa politique monétaire pour l’année prochaine. Elles ont été précisées par les commentaires de son président, Mario Draghi. On dispose désormais d’une indication claire sur l’évolution de la zone euro durant les prochains mois. Les marchés ne se sont pas trompés. Ils ont réagi immédiatement : les bourses européennes à la hausse, sauf en Espagne pour des raisons politiques et l’euro à la baisse. La devise a perdu plus de 1% face au dollar.

La BCE a d’abord annoncé qu’elle poursuivrait jusqu’au mois de septembre 2018 sa politique de rachats d’actifs financiers (Quantitative Easing) mais pour des montants ramenés à 30 milliards d’euros par mois contre 60 milliards jusqu’à la fin de cette année. Elle a même ajouté que rien ne s’opposait à ce que ce programme soit encore prolongé si nécessaire et que la BCE pourrait même, pour les titres de dette arrivant à échéance, utiliser le produit pour en acquérir d’autres. Quand elle fut décidée, en 2015, cette action portait sur 60 milliards par mois au moins jusqu’en septembre 2016 mais le montant avait été relevé jusqu’à 80 milliards  avant d’être ramené à son niveau initial. Mario Draghi a aussi indiqué qu’aucune hausse des taux n’était prévu l’an prochain et que le premier relèvement n’interviendrait qu’au cours de l’année 2019. Les marchés ont interprété ce message comme une garantie de taux très bas voire négatifs au moins jusqu’à l’été 2019. La BCE ne veut pas renouveler l’erreur commise au printemps 2008 quand elle avait relevé ses taux d’intérêt à la veille de la faillite de Lehmann et du déclenchement sur les marchés de la plus grave crise financière depuis celle de 1929. Dans ses commentaires, Mario Draghi a aussi indiqué  qu’il n’y avait pas de limites dans le temps à cette politique accommodante. Pour y mettre un terme, il faudrait que les objectifs en matière d’inflation (un taux inférieur mais proche de 2%), de croissance et d’emploi dans la zone euro soient atteints. On en est loin.

Le conseil des Gouverneurs n’a pas été unanime. Les opposants à cette politique, Allemagne et Pays-Bas en tête, n’ont pu faire valoir leurs vues. Les systèmes de retraite de ces deux pays reposent sur des fonds de pension et leur rendement est affecté par la persistance de taux d’intérêt à long terme très faibles, ce qui met en péril, surtout en Allemagne du fait du vieillissement rapide de la population, le niveau des retraites. Mario Draghi a bénéficié du vide politique qui s’est instauré dans ce pays à la suite des dernières élections. Aucun gouvernement n’a encore été constitué. La ligne politique retenue dépendra des alliances et des compromis que devra faire la chancelière Merkel. En outre, le principal partisan d’une politique plus ferme de la BCE, son ancien ministre des Finances, Wolfgang Schaubble, a quitté son poste pour la présidence, honorifique, du Bundestag. Le président de la BCE avait donc le champ libre. Pour la France, le maintien d’une politique accommodante à Francfort est une excellente nouvelle, pour l’Etat, pour les entreprises et pour les ménages. 

L’Etat en sera le premier bénéficiaire, bien qu’il fasse tout, pour en réduire les effets. Vis-à-vis de Bruxelles, il ne faut pas être accusé de laxisme si le pays veut sortir de la procédure de déficit excessif. Sur le plan intérieur, le niveau trop important de la dette est utilisé pour faire passer des mesures impopulaires. Mais l’Etat va devoir, s’il ne veut pas que son budget soit qualifié d’insincère, réviser ses calculs. Il les avait basés sur une évolution des taux d’intérêt à court terme pour la fin de l’année 2018 à -0,10% et pour le long terme (10 ans) à 1,85%. Ces prévisions, à la suite des décisions de la BCE, sont désormais obsolètes et cela va se traduire par une réduction de la charge de la dette en 2018 et surtout en 2019 par rapport aux prévisions. Mais ce n’est pas tout. L’Etat devra gérer sa dette et ses émissions dans ce nouveau contexte. Les taux à court terme étant négatifs et le fait d’emprunter rapportant de l’argent, il conviendra de ne pas revenir à la politique absurde des émissions à des taux au-dessus de ceux du marché pratiquée en 2015 et 2016 et heureusement interrompue en 2017, utilisée pour réduire les besoins en trésorerie. Les emprunts à court terme vont continuer à porter des taux négatifs et donc rapporter de l’argent. L’abandon de cette politique permettra aussi une accélération de la baisse de la charge de la dette dans les années à venir. Enfin l’Etat devra réfléchir à deux fois avant d’émettre de la dette indexée sur l’inflation, la nôtre et celle de la zone euro, puisque cela fait porter un risque à long terme alors que l’avantage, en termes de taux d’intérêt dans le contexte actuel est marginal. Enfin, est-il de bonne gestion de céder des participations dans des entreprises qui délivrent des dividendes bien supérieurs au coût de la dette pour réduire celle-ci ? Poser la question, c'est y répondre

Les entreprises vont aussi profiter du maintien de conditions de financement favorables. Cette transmission à l’économie réelle des avantages de la politique monétaire a été longue à venir à cause des contraintes imposées aux banques sur leur bilan à la suite de la crise financière. Elles avaient durci leur politique de prêt et de prises de participations. La baisse des charges financières des entreprises commence à se faire sentir et n’est pas étrangère au rebond des investissements observé en France depuis 2016. La poursuite de ce mouvement sera favorable à la croissance, à condition qu’il ne serve pas à financer une politique débridée d’acquisitions en France et à l’étranger comme il y a une quinzaine d’années, qui serait ainsi rendue plus facile mais qui avait eu des conséquences désastreuses dans certains secteurs et un effet négatif sur l’emploi.

Les ménages, eux aussi, bénéficient de ces bas taux d’intérêt. La renégociation des emprunts immobiliers va se poursuivre et les millions de ménages endettés, du fait  de la diminution de leurs charges de remboursement, connaîtront une amélioration immédiate et durable de leur pouvoir d’achat, ce qui réduira les écarts de richesse entre les générations. De nouvelles familles pourront aussi accéder à la propriété La construction de logement est en pleine reprise avec plus de 400 000 mises en chantier cette année, en hausse de 17% sur l’an dernier. Cela ne suffira pas à réduire la pénurie persistante mais celle-ci résulte souvent des politiques locales d’urbanisme qui conduisent à la désertification des centres villes et à la multiplication des logements vacants. Mais cela aura quand même un effet positif sur l’activité et l’emploi.

Enfin les décisions de Mario Draghi vont, provisoirement mettre un terme à l’appréciation de l’euro, ce qui favorisera les entreprises exportatrices et incitera les touristes hors de la zone euro à venir en France. Tout cela, c’est grâce à l’euro et à l’Europe. Au moment où celle-ci fait l’objet, un peu partout, de critiques acerbes des mouvements populistes, souverainistes ou sécessionnistes, les responsables politiques feraient bien de « rendre à l’Europe » ce qui lui appartient et de montrer aux Français tous les avantages qu’il y a à avoir une monnaie stable et solide et des taux d’intérêt bas qui profitent à tout le monde.