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Le blog d'Alain Boublil

 

L'innovation et les marchés financiers

Les marchés financiers ont toujours été influencés par les innovations qui affectaient la survie de certaines entreprises ou qui faisaient le succès de celles qui en avaient été à l’origine. Les réactions excessives, les emballements ont même engendré des crises majeures comme au début des années 2000 avec la « bulle Internet ». Son éclatement eut des répercussions bien au-delà des cours de bourse et affecta la croissance de l’économie américaine. Les leçons n’en ont pas été tirées car nous assistons à nouveau à un engouement pour les valeurs qui symbolisent la « nouvelle économie » comme Alphabet, la maison-mère de Google, ou Amazon. Elles atteignent des niveaux de capitalisation sans précédent, entre 500 et 600 milliards de dollars alors que leurs résultats, quand ils sont bénéficiaires ne se chiffrent qu’en milliards. Apple et Microsoft sont même dans une fourchette comprise entre 600 et 800 milliards. L’industrie dite traditionnelle ne reste pas à l’écart du mouvement : Tesla, avec une valorisation supérieure à 50 milliards vaut plus que Ford ou General Motors alors que l’entreprise n’a jamais réalisé de profit.

Les fondateurs de ces entreprises ont compris toute la part de rêve qui était à l’origine de ces valorisations dont ils étaient les premiers bénéficiaires. En quelques années ou quelques décennies dans le cas de Microsoft et d’Apple, ils sont devenus les hommes les plus riches du monde. Leur défi aujourd’hui est d’entretenir ce rêve pour conserver des niveaux de capitalisation qui ne sont pas justifiées par leurs seuls résultats financiers. Ils tentent donc de convaincre l’opinion et, à travers elle, les marchés financiers,  qu’ils parviendront comme cela à déboucher enfin sur les profits qui n’ont pas été jusqu’à présent au rendez-vous. Tesla accumule les pertes mais travaille sur un modèle de voiture électrique qui doit, estime son président, Elon Musk, transformer tout le secteur automobile et ne néglige pas d’autres projets tout aussi capables d’entretenir le rêve, comme un moyen de transport terrestre, l’Hyperloop, une sorte de super TGV qui se déplacerait à la vitesse du son, ou le tourisme dans l’espace. Amazon a connu une chute de ses résultats au deuxième trimestre et prévoit même des pertes au troisième mais cherche à persuader les marchés en procédant à des acquisitions dans le secteur de la grande distribution. L’entreprise pense appliquer à la vente de produits de consommation les méthodes qui ont réussi pour les livres et développer une nouvelle logistique. Mais rien ne permet d’être certain qu’elle y parviendra. Google, de son côté déploie tous ses efforts pour convaincre que demain, grâce à ses logiciels, les voitures rouleront toutes seules.

Seulement, l’expérience montre qu’il est très difficile de prévoir le succès ou l’échec d’une innovation. Dans le passé, les engouements ont la plupart du temps débouché sur des déceptions coûteuses et, au contraire, les succès avaient très rarement été anticipés. Les années 70 et 80, par exemple, ont été marquées par la priorité donnée à la conquête spatiale. Le Japon n’était pas le dernier à y croire et tous les pavillons lors de l’Exposition Universelle de Tsukuba, en 1984, célébraient la nouvelle ère qui s’annonçait. On pensait fabriquer dans l’espace des produits d’un niveau de qualité exceptionnel, impossible à atteindre sur terre. Aux Etats-Unis, pour répondre au deuxième choc pétrolier, on avait même imaginé mettre sur orbite des satellites munis de gigantesques panneaux solaires qui redirigeraient les rayons vers des centrales au sol pour produire de l’électricité. Naturellement, tout cela fut rapidement abandonné. A l’inverse, la première application déterminante de l’espace fut la mise en orbite des satellites de télécommunication dont le rôle n’avait été anticipé par personne. Steve Jobs avait eu l’intuition géniale, grâce aux logiciels mis au point par les équipes de Bill Gates chez Microsoft, de comprendre que les ordinateurs ne seraient pas uniquement destinés aux entreprises et deviendraient des produits de grande consommation. En France, on n’avait pas été loin de le penser avec l’expérience du Minitel mais l’équipement était sommaire et surtout les capacités de transmission insuffisantes. On aurait tort pourtant de se moquer car le Minitel familiarisa le grand public avec cet outil qui préfigurait Internet. Cela donna à nos banques par exemple une avance sur leurs concurrents. La prévision technologique est un art difficile et surtout, contrairement à ce que pensent les marchés financiers, rarement précis.

Les deux principales innovations de la dernière décennie, le smartphone et l’exploration du gaz et du pétrole de schiste n’avaient été prévues par personne. La première s’inscrivait dans la continuité du téléphone portable mais elle a transformé les rapports sociaux et la manière de travailler dans de nombreux domaines bien au-delà de ce qui était envisagé. Quant à la seconde, elle avait d’abord fait l’objet d’un déni en estimant que ces ressources étaient limitées et que l’on s’approchait du « pic ». La mise en œuvre des nouvelles techniques d’extraction tant du gaz naturel que du pétrole ont apporté un cinglant démenti. L’abondance du pétrole a provoqué la chute des cours et la baisse des prix du gaz naturel a favorisé la réduction de la consommation de charbon, plus polluant. Le succès d’une innovation ne repose donc pas seulement sur ses performances. Il dépend d’abord de son aptitude à répondre à l’attente de ceux à qui elle est destinée. L’énergie solaire depuis l’espace était certes possible mais ne correspondait pas à une demande. C’est la validation de l’innovation par ceux à qui elle est destinée qui commande son succès et c’est ce que les marchés financiers ont actuellement tendance à oublier.

Les automobilistes vont-ils être convaincus d’utiliser des véhicules électriques ? Pour l’instant, malgré des subventions substantielles, ils ne le sont pas, car les capacités techniques ne sont pas au rendez-vous. L’autonomie est insuffisante et les temps de recharge bien trop longs. Les technologies à développer pour pallier à ces faiblesses sont à évolution lente. En outre, les matières premières nécessaires, comme le cuivre ou le lithium, ne sont pas immédiatement disponibles pour faire face à une nouvelle et si importante demande, ce qui affectera encore les coûts. Mais cela n’a pas empêché les analystes financiers de s’emballer pour Tesla et de commencer à spéculer sur les marchés de matières premières. Les utilisateurs vont-ils être séduits par l’idée que leur voiture peut se conduire toute seule ? Cela reste à prouver. La curiosité face à tout ce qui est nouveau ne doit pas être confondue avec la décision d’achat, même si on trouve des solutions juridiques en cas d’accident pour définir les responsabilités, ce qui ne sera d’ailleurs pas simple. Mais ce débat est essentiel pour Google et toutes les sociétés intéressées au projet car il sert à maintenir cette part de rêve si importante pour conserver leur valorisation boursière.

Dès lors, deux scenarios sont possibles. L’appétit pour les innovations se maintient et de premiers signes concrets de réalisations apparaissent. Dans ce cas, les marchés financiers confirmeront les valorisations très élevées actuelles. Mais si, au contraire, des doutes apparaissent, la réaction sera très violente et du fait des niveaux de capitalisation atteints aura une dimension systémique. Une crise d’une ampleur analogue à ce qui était survenu dans le passé avec la bulle Internet et les subprimes serait donc possible. Ses effets ne seraient alors pas limités à la seule économie américaine.