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Le blog d'Alain Boublil

 

La diplomatie pétrolière de Donald Trump

On ne choisit pas par hasard pour diriger le Département d’Etat, Rex Tillerson, le président d’Exxon. Le pétrole et les énergies fossiles ont toujours joué un rôle important dans la politique américaine, qu’il s’agisse de leur cours ou des relations avec les pays producteurs, comme du temps des présidents Bush père et fils, qui avaient fait toute leur carrière au Texas, le premier Etat producteur. Donald Trump renoue avec cette tradition. Mais les enjeux sont aujourd’hui différents car le monde est devenu plus complexe, la production américaine a évolué et le Moyen-Orient est à feu et à sang.  

Dans les jours prochains, trois évènements importants vont intervenir : les élections en Iran, la renégociation de l’accord au sein de l’OPEP sur la réduction de la production  et la première visite à l’étranger de Donald Trump. Elle aura lieu en Arabie saoudite et ce n’est pas par hasard. Jusqu’à présent l’accord a été respecté, la production a baissé de 1,4 million de barils par jour et les cours du pétrole se sont stabilisés autour de 50$ par baril. Mais les exportations des pays signataires n’ont baissé que de 0,8 million de b/j car ces pays ont réduit leur consommation et ont puisé dans leurs stocks. A l’inverse, la production américaine est repartie à la hausse grâce à la forte réduction des coûts d’extraction du pétrole de schiste. Le nombre de puits dans les bassins du Texas et du Nouveau Mexique a augmenté depuis le début de l’année. Les nouveaux producteurs avaient été  les premiers touchés par la chute des cours. Ils ont retrouvé la confiance des marchés financiers qui ont recommencé à souscrire à leurs émissions de capital et d’emprunts. Un vaste mouvement de restructuration est intervenu et les fonds qui avaient financé leurs investissements sont devenus leurs actionnaires et ont confiance dans leur avenir. Le niveau actuel des prix n’est plus un handicap pour les gisements du  « Cowboyistan » qui, il y a cinq ans, avaient été à l’origine de l’effondrement des cours. La stratégie de l’Arabie saoudite pour les éliminer a donc échoué. Quant aux majors, elles se portent bien. Exxon et Chevron ont annoncé des résultats en hausse

La levée de l’interdiction d’exporter du pétrole brut, décidée par Barrack Obama a aussi contribué à stimuler la production qui était confrontée à la saturation des capacités des raffineries américaines. La décision de l’administration Trump, d’autoriser la construction de l’oléoduc qui relie les gisements canadiens au centre des Etats-Unis répond à la même logique et accroîtra encore les possibilités d’exportation et l’influence des Etats-Unis sur les marchés mondiaux. L’accord de l’Opep visait l’objectif inverse. La baisse des cours devait porter un coup fatal au pétrole de schiste dont les coûts d’extraction étaient, pensait-on, incompatibles avec des prix inférieurs à 50 ou 60 dollars par baril. Cela ne s’est pas produit. En outre, ces nouveaux gisements sont beaucoup plus flexibles que les gisements classiques. Il est facile de les arrêter puis de les faire redémarrer quand les conditions du marché le justifient,

L’accord de novembre n’a donc pas atteint ses objectifs et les Etats-Unis en ont été les principaux bénéficiaires. L’effort consenti par les membres de l’OPEP n’a abouti qu’à profiter aux compagnies et à l’économie américaine. C’est l’Arabie saoudite qui a supporté les principaux sacrifices et cela a été en pure perte. Il aurait donc été logique de prévoir une non-reconduction de l’accord et un changement radical de stratégie. Il n’en sera rien. Non seulement l’accord sera prolongé, et peut-être pour une période plus longue que prévue, mais la Russie, qui n’était pas signataire puisque non membre de l’OPEP mais qui l’avait soutenu, a annoncé, convaincue par ses homologues saoudiens, qu’elle continuerait de respecter les engagements pris il y a six mois.

On peut donc se demander ce qu’a obtenu l’Arabie Saoudite  de l’administration Trump en échange. Le point le plus important, et qui sera confirmé lors de la visite du président américain, est le durcissement de la position américaine vis-à-vis de l’Iran, adversaire, voire ennemi déclaré, tant pour des raisons religieuses que diplomatiques de la monarchie saoudienne. Ce n’est pas non plus un hasard si cette visite intervient peu après les élections à Téhéran. Une fois le résultat connu, il sera possible d’ajuster au mieux le discours sur les sanctions. Sur le plan financier, les banques d’affaires américaines apporteront aussi leur soutien à l’introduction en bourse de l’Aramco, la compagnie pétrolière saoudienne. Cela représentera, pour le pays, plusieurs centaines de milliards de dollars de rentrées qui devraient compenser, pendant quelque temps, le manque à gagner lié à la chute des cours du pétrole et financer les besoins de renouvellement des équipements de l'armée saoudienne, et ce pour le plus grand bénéfice de l'industrie américaine. Au total, les Etats-Unis restent les maîtres du marché pétrolier pendant les années à venir et l’Arabie saoudite bénéficie de l’action américaine visant à affaiblir Téhéran et de compensations financières non négligeables. Certains, à Wall Street, avaient imaginé une autre stratégie visant à rendre à Ryad son pouvoir sur les cours en vendant massivement des contrats à moyen terme pour persuader les marchés que les cours resteraient bas pendant une période plus longue et dissuader les investisseurs de soutenir les nouveaux producteurs américains. Ils ont peu de chances de convaincre le pays de se lancer dans cette voie.

La diplomatie américaine ne se contentera pas de ces succès. Elle pourra dire aux signataires de l‘Accord de Paris que les Etats-Unis, vont continuer leur effort en faveur de la réduction des émissions de CO2, contrairement aux discours passés du nouveau président. Les décisions, conformes à ses promesses électorales, en faveur du charbon, ne changeront rien. Les Etats-Unis ont contribué de façon significative à la stabilisation des émissions en 2016 pour la troisième année consécutive, malgré le retour de la croissance, comme vient de le révéler l’Agence internationale de l’Energie. C’est le remplacement, dans la production d’électricité, du charbon par le gaz  qui a permis ces progrès. L’abrogation des contraintes sur les centrales à charbon imposées par l’administration Obama, le discours de soutien aux mineurs, à des fins électorales, et l’affaiblissement des pouvoirs de l’Agence de Protection de l’Environnement ne modifieront pas la tendance. L’avantage permis par l’exploitation du gaz de schiste va se poursuivre et la substitution au détriment du charbon s’amplifier, avec ses effets positifs sur les émissions de CO2.

Cette action a une dimension internationale. Un premier accord avec la Chine a été conclu pour l’exportation de Gaz Naturel Liquéfié à partir du nouveau terminal construit près de la Nouvelle-Orléans. Les Etats-Unis soutiennent de cette façon la lutte contre le réchauffement climatique dans d’autres pays puisque la Chine est engagée dans la même stratégie de substitution au sein des énergies fossiles, tout en investissant, toujours comme les Etats-Unis, dans les énergies renouvelables. Le président américain pourra ainsi répondre à ceux qui critiquent ses propos relatifs à l’Accord de Paris, que la contribution américaine à la réalisation de ses objectifs est bien supérieure à celle de la plupart des autres pays. Il a accompli une double prouesse en reprenant le contrôle des marchés pétroliers, en échange d’un soutien face à l’Iran qu’il était, de toutes façons, décidé à accorder, et en satisfaisant son électorat par un discours sceptique à l’égard du climat, tout en poursuivant l’effort américain de réduction des émissions.

Le moment est donc venu de jeter un regard moins critique et plus rigoureux sur l’action des Etats-Unis. Cela permettra d’éviter des critiques mal fondées.