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Le blog d'Alain Boublil

 

Transition énergétique : le modèle chinois

Le thème de la transition énergétique s’est installé au cœur de la campagne présidentielle. Certains, comme Jean-Luc Mélenchon ou Benoît Hamon le réduisent à une stigmatisation de l’énergie nucléaire, qu’ils proposent d’abandonner en fermant des centrales en parfait état de marche. D’autres, comme Emmanuel Macron ou François Fillion s’orientent vers une diversification accrue de la production d’électricité, mais sont hostiles à l'extraction du gaz de schiste. Tous voient dans des investissements permettant une baisse de la consommation d’énergie une panacée pour réduire le chômage, mais sans avancer des solutions de financement convaincantes, adaptées à la diversité des situations.

La France n’est pas un cas isolé et la campagne présidentielle américaine a été aussi l’objet de débats passionnés entre les deux camps sur ces questions. Parmi les grandes économies, c’est le pays qui émet le plus de CO2 par habitant. Ses décisions ont des conséquences pour toute la planète. Donald Trump s’est déclaré ouvertement « climato-sceptique » mais en même temps, il est favorable à l’extraction du gaz de schiste. Or cette source d’énergie peu coûteuse a permis une réduction de la part du charbon dans la production d’électricité américaine et une baisse massive des émissions de CO2. Ainsi, en 2015, pour la première fois depuis longtemps, à l’échelle de la planète, elles ont été  stabilisées. L’hostilité de Donald Trump vis-à-vis des résultats de la COP 21 n’a pas une grande importance car cet accord ne comporte aucune disposition contraignante, ce qui a permis à Barack Obama de se passer du vote du Congrès. Si le président américain décidait de revenir en arrière, cela aurait surtout une dimension symbolique. La variable clé, pour que son pays poursuive dans la bonne direction, est le prix relatif entre le charbon et le gaz. Et sur ce point la position américaine reste dans la ligne des tendances passées, favorables à l'extraction du gaz de schiste.

Au niveau mondial, le premier émetteur de gaz à effet de serre, c’est la Chine. Sa politique est donc d’une importance cruciale. Pour l’apprécier, il faut rappeler que la pollution est à la fois un phénomène global (les gaz à effet de serre contribuent au réchauffement de toute la planète), et local, par exemple avec des rejets de particules nocives dans l’atmosphère. L’oublier peut conduire à des absurdités comme quand en France on a encouragé le diesel qui rejetait un peu moins de CO2 que l'essence. A l’échelle de la planète, c' était infime, mais cela a contribué à l' émissions de particules dangereuses pour la santé. La Chine est confrontée aux deux problèmes. Sa taille lui impose de réduire ses émissions. Mais le pays souffre en plus d’une dégradation insoutenable de son environnement. Dans de nombreuses villes, l’air est devenu irrespirable et la population, docile jusqu’à présent à l’égard du régime, pourrait trouver là un motif de révolte justifié. Le gouvernement chinois a donc adopté, dès 2013, une politique de transition énergétique très ambitieuse, qui a été confirmé et explicitée dans le XIIIème Plan qui couvre la période 2016-2020 et c’est ce qui explique son adhésion à l’Accord de Paris.

La première des priorités est la stabilisation puis la baisse de la consommation de charbon. Elle répond à la fois à l’urgence climatique et aux exigences locales. Si les villes chinoises sont devenues irrespirables, c’est parce qu’elles sont entourées de centrales électriques au charbon. Le basculement du charbon vers le gaz permettra de réduire la pollution. La baisse des émissions de CO2 sera moins spectaculaire qu’aux Etats-Unis parce que la Chine n’a pas encore suffisamment de ressources en gaz naturel et de circuits d’approvisionnement et de distribution. La consommation de gaz naturel du pays est passée 50 milliards de m3 en 2005 à près de 200 milliards en 2015 et devrait atteindre  250 milliards en 2018, année où entreront en vigueur les contrats d’approvisionnement géants signés avec la Russie qui portent sur du LNG en provenance du gisement de Yamal, proche de la mer Baltique et du gaz transitant par le nouveau gazoduc à travers la Sibérie pour desservir le nord du pays. En conséquence, des centaines de petites mines de charbon auront été fermées et la production commencera à décliner. Au terme du XIIIème Plan, Pékin prévoit que la part du gaz atteindra 10% de la consommation d’énergie. Elle n’était que de 3% en 2010.

Le deuxième volet de la politique de transition énergétique concerne l’accélération du programme nucléaire. Freiné à la suite de l’accident de Fukushima, il a été relancé en 2014.  Les capacités de production en service en 2020 atteindront 58 GWe soit un peu moins que le plafond que la France s’est imposé, à savoir 62 GWe. Le nucléaire devrait alors fournir 6% de l’électricité mais à terme, l’objectif est de dépasser 15%. La Chine a multiplié ses coopérations internationales, avec la France, son partenaire historique, mais aussi avec Westinghouse. Son nouveau modèle, l’AP 1000, en construction en Chine, mais aussi aux Etats-Unis connait les mêmes problèmes que notre réacteur, l’EPR. En Georgie et en Caroline du sud, les quatre unités en construction, l’équivalent de deux EPR et demi, connaissent des retards de plusieurs années et des dépassements de budget au total de 12 milliards de dollars. Il convient donc de relativiser les problèmes rencontrés à Flamanville. Quand on n’a pas construit de centrales pendant près de quinze ans et qu’en plus, on s’attaque à un nouveau modèle de réacteur, cela a un coût. Toshiba, l’actionnaire de Westinghouse, n’est pas en meilleure situation qu’Areva mais cela n’a pas dissuadé la Chine de développer son propre modèle, le Hualong 1 qu’elle construit à Fuqing, dans la province du Fujian. Elle a même demandé sa certification auprès des autorités de sûreté anglaises, puisqu’elle projette de construire deux modèles dans le pays, à Bradwell, en coopération avec EDF. La politique énergétique chinoise n’est pas dépourvue de considérations industrielles.

C’est aussi vrai pour les énergies renouvelables. La Chine a accéléré ses investissements : en 2016, des capacités de 19 GWe (éolien) et de 34 GWe (solaire) ont été installées mais ces chiffres du fait de l’intermittence ne doivent pas faire illusion. Mais l'éolien n’a représenté que 4% de la production électrique totale, dont plus de 10% a été perdu du fait de l’inadaptation du réseau, soit en réalité 3,3%, et le solaire 1%. En 2020, les énergies non-fossiles devraient compter pour 15% de la production. Le modèle chinois de la transition énergétique repose sur la diversification de ses sources de production avec une priorité, la réduction de la production et de la consommation de charbon, remplacée progressivement par le gaz naturel, le nucléaire et les énergies renouvelables. Mais il n’impose pas d’objectifs chiffrés irréalisable compte tenu des données techniques et économiques disponibles. Le rêve ou l’idéologie n’y ont pas leur place. Comme le modèle économique évolue lui aussi, avec une réduction de la part des industries lourdes au profit des services, la Chine est en passe de dissocier croissance et consommation d’énergie. C’est la combinaison pragmatique de tous ces éléments qui permettra de satisfaire à ses impératifs en matière d’environnement en donnant un coup d’arrêt aux pollutions urbaines insupportables et en contribuant efficacement au niveau mondial à la lutte contre le réchauffement climatique.

On accuse souvent les chinois d’être des copieurs. En l’occurrence, nos dirigeants politiques feraient bien de se rendre dans ce pays pour y puiser des idées et réussir, en se débarrassant de leurs présupposés idéologiques, la transition énergétique dont la France a besoin.