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Le blog d'Alain Boublil

 

La Wallonie et le Brexit

Les péripéties qui ont marqué les négociations finales du traité commercial entre l’Union Européenne et le Canada (CETA) sont lourdes d’enseignements pour celles qui vont s’ouvrir avec le Royaume-Uni sur sa sortie de l’Union. L’accord intervenu in-extremis entre les régions belges pour que leur pays puisse ratifier le projet de traité en discussion à Bruxelles ne change rien aux interrogations que cette affaire a suscitées à propos des procédures européennes de négociations et d’approbation des accords entre l’Europe et des pays tiers. La Commission a reçu par délégation la compétence unique pour négocier. Mais pour l’approbation, c’est soit le conseil des ministres, qui statue à la majorité, soit chaque Etat, ce qui nécessite l’unanimité. L’affaire wallonne révèle une nouvelle complication. Dans certains Etats qui ont une structure fédérale comme la Belgique, l’approbation de chaque région est nécessaire pour que le pays ratifie à son tour l’accord. A l’échelle de l’Europe, il y aurait 38 assemblées appelées à se prononcer. Une seule d’entre elles peut bloquer tout le processus. C’est exactement ce qui a failli se passer avec la Wallonie.

Dans une négociation commerciale, et à l’intérieur d’un même pays, il y a forcément des gagnants et des perdants. Certaines productions qui sont localisées sur une partie du territoire pourront exporter davantage grâce à la levée de restrictions ou la suppression de droits de douane. D’autres territoires, au contraire, verront les importations facilitées du fait, par exemple, d’une baisse des droits de douane. Quand l’Etat est le seul à avoir le pouvoir d’approuver le résultat final de la négociation, cela n'entre pas directement en ligne de compte. il lui reste à trouver chez, avec les risques politiques que cela comporte, les moyens d’atténuer les conséquences de l’accord pour les perdants. Mais quand les territoires ont ce pouvoir, il arrive ce qui vient de se passer avec la Wallonie, qui refusait de voir déferler chez elle des produits canadiens qui mettraient en danger l ses exploitations agricoles. Un accord, sauf retour en arrière imprévu, a finalement été trouvé. Mais cela montre bien la fragilité du système européen de discussion.

Quand le Royaume-Uni aura déclenché l’article 50 qui ouvre la procédure de sortie de l’Union d’un Etat-membre, la négociation qui s’ouvrira sera autrement plus complexe que la conclusion d’un accord commercial avec le Canada qui n’est, en fait, qu’un partenaire commercial mineur de l’Union Européenne. Le champ de la discussion sera bien plus vaste et chaque partie à la négociation aura à rendre compte à des pays ou à des entités régionales qui auront souvent des exigences contradictoires. Pour aboutir à un accord, il faudra que chacun face des concessions, ce qui sera d’autant plus difficile que les discussion seront fragmentées. Il est fréquent qu’au stade final d’une négociation et pour aboutir, les parties prenantes procèdent par échange de concessions dans des domaines différents. Mais là ce sera presque impossible car, juridiquement, les procédures seront séparées suivant par exemple qu’il s’agit de la circulation des personnes, des échanges commerciaux ou de la régulation financière.

La question de la liberté de circulation, dont l’abrogation fut le principal argument des tenants du Brexit, est déjà une mission quasiment impossible, ne serait-ce que du fait de la situation de l’Irlande. Après des décennies de lutte, les deux parties en présence ont fini par se mettre d’accord. L’Irlande du Nord reste dans le Royaume-Uni mais toute frontière à l’intérieur de l’île a été abolie. Il est inconcevable que l’Irlande se voie imposer par l’Europe l’instauration d’une frontière du fait du Brexit. Mais il est tout aussi inconcevable que les autres membres de l’Union acceptent que leurs ressortissants ne puissent se rendre en Angleterre librement alors que les irlandais pourront aller à Belfast ou à Londres sans restrictions. Et il est encore plus invraisemblable que le Royaume-Uni rouvre avec son voisin irlandais la question douloureuse de la réunification, qui serait la seule solution pour contenter tout le monde en cas de Brexit. L’Ecosse, qui n’a pas dit son dernier mot dans ses projets d’indépendance, en profiterait à coup sûr pour convoquer un nouveau référendum.

Le maintien de facto des avantages de la place de Londres, comme place de marché privilégiée en Europe avec son statut actuel, est apparemment moins complexe à régler. Il y a deux candidats pour reprendre ce rôle, Paris et Francfort et on ne peut écarter l’idée suivant laquelle si l’un des deux sent qu’il va perdre la partie, il préfère le statu quo à une situation où il apparaîtrait affaibli. La négociation pourrait alors porter sur un chèque que paierait l’Angleterre pour conserver son passeport. Au pays ensuite d’en répercuter le coût sur ceux qui, à Londres, en seraient les bénéficiaires.

La négociation d’un nouvel accord de libre échange sera d’autant plus compliquée que les intérêts des pays européens sont divergents et que ceux qui n’ont rien à y gagner essaieront d’obtenir en échange des avantages, voire des transferts provenant des pays gagnants. La France et l’Allemagne ont un fort excédent commercial. Les deux pays seront plus facilement enclins à signer que les pays d’Europe de l’Est qui envoient surtout en Angleterre les travailleurs qui n’ont pas trouvé d’emploi chez eux et qui, à l’avenir, seront refoulés. Le précédent wallon, dans un climat croissant d’euroscepticisme, incitera les régions, même quand la constitution du pays ne prévoit pas leur approbation, à formuler des exigences de plus en plus pressantes. Le pays le plus touché sera, une fois encore l’Irlande qui a attiré sur son sol une quantité considérable d’investissements d’entreprises américaines et japonaises pour approvisionner le marché européen et bénéficier d’une fiscalité avantageuse. Ils y localisaient leurs profits grâce à des prix de transfert artificiels. S’ils ne peuvent plus réexporter vers l’Angleterre, une part des montages devient sans objet.

La seule chose qui soit sure, c’est que quelque soit l’accord trouvé, si il y en a un, le processus sera très long et causera, entretemps de lourds dommages à l’économie anglaise. Les firmes étrangères implantées au Royaume-Uni diffèrent déjà leurs projets d’investissement et attendent d’en savoir plus. C’est le cas dans l’industrie automobile où Nissan, en échange de sa décision d'assembler un nouveau modèle dans son usine de Sunderland aurait obtenu du gouvernement anglais des subventions, en contradiction totale avec les traités actuels et tout accord futur de libre échange en cas de Brexit, et où Ford et General Motors ont suspendu leurs décisions pour la fabrication de leurs nouveaux modèles. Les grandes banques de la City sont dans la plus grande incertitude concernant leur avenir sur place. Elles resteront toujours présentes mais la taille et le champ de leur activité dans le futur est impossible à prévoir. Tout cela pèsera inévitablement sur l’activité.

La livre sterling a chuté de plus de 10% depuis trois mois mais la production a continué de croître sur sa lancée du premier semestre, autour de 2% en rythme annuel. Les marchés financiers réagissent plus vite que les entreprises et les conséquences des décisions de celles-ci sont plus longues à faire sentir leurs effets. Mais ils sont inévitables. Le Royaume-Uni connait aussi un lourd déficit de sa balance des paiements. Dans un tel climat et pour attirer les capitaux étrangers nécessaires pour financer ce déficit, il n’y a qu’une solution : remonter les taux d’intérêt. Mais ce serait particulièrement dangereux à un moment où, du fait des multiples difficultés à trouver un accord sur le Brexit, l’économie se dirigerait vers une récession.