Vous n’êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

Inscription

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

Les trois leçons du désastre anglais

Deux semaines après son référendum sur la sortie de l’Union Européenne, le Royaume Uni est confronté à une crise politique d’autant plus grave qu’elle était totalement imprévue. L’issue du référendum était incertaine et les sondages avaient fluctué tout au long de la campagne. Comme cela arrive souvent, ils se sont trompés. Ils donnaient, à la fin, le « Remain » gagnant, peut-être sous le coup de l’émotion déclenchée par l’assassinat de la députée travailliste Jo Cox. Les bookmakers et les investisseurs étaient sur la même ligne. La chute  des bourses européennes traduit le retournement brutal des positions de spéculateurs ayant perdu leurs paris. Mais le pire restait à venir. Le Premier ministre Cameron démissionnait, ce qui était attendu, mais ce qui l’était moins, c’est que le principal artisan de la victoire du « Leave », l’ancien maire de Londres Boris Johnson, refuserait d’assumer ses responsabilités. Il était suivi  par le leader du parti souverainiste UKIP, Nigel Farage, qui annonçait qu’il abandonnait la vie politique. Ces deux hommes avaient été les voix les plus fortes pour demander la rupture avec l’Europe mais renonçaient à mettre en œuvre la politique qu’ils avaient défendue avec passion. Quant au Parti travailliste, il était  divisé et des voix  s’élevaient pour exiger le départ de son leader, Jeremy Corbyn. L’unité du royaume était enfin menacée. L’Ecosse projetait de relancer le débat sur son indépendance afin de revenir dans l’Union. Etant une partie du Royaume Uni, ellle allait devoir quitter l’Europe. Le débat sur la réunification de l’Irlande était ré-ouvert. L’adhésion de la Grande-Bretagne et de l’Irlande avait quasiment abouti à la suppression de la frontière et réussi à apaiser les tensions qui avaient débouché, il y a trente ans, il ne faut pas l’oublier, sur une quasi-guerre civile.

La manœuvre politicienne de David Cameron, pour conforter sa place à la tête des Tories débouche donc sur un fiasco. Il a offert l’occasion à ses adversaires de prendre l’Europe en otage alors qu’elle n’est pour rien, dans le mécontentement qui a été à l’origine du Brexit. Le pays a choisi un modèle de développement ultra libéral qui a généré de profondes inégalités, par exemple entre Londres qui prospère et les campagnes anglaises qui dépérissent. La carte des résultats montre à quel point les électeurs anglais ont été trompés. Les principaux bénéficiaires des transferts européens sont les agriculteurs et c’est le monde rural qui a massivement voté en faveur du « Leave ». L’attitude du maire de Londres n’en est que plus condamnable, puisque sa ville n’aurait pu connaître une telle prospérité sans l’Union Européenne, ce dont ses habitants étaient conscients puisqu’ils ont très largement voté pour le « Remain ». Quant aux ouvriers de Sunderland, qui ont massivement choisi le « Leave », personne n’est venu leur expliquer que jamais Nissan n’aurait investi dans leur ville pour produire plus de 500 000 véhicules par an si l’Angleterre n’avait pas eu accès librement aux autres marchés européens. Il est facile, quand on est un dirigeant politique d’énoncer à longueur de meetings des contre-vérités mais le pire est atteint quand les électeurs finissent par être convaincus, suivent ces recommandations absurdes pour ensuite constater que ceux qui les proféraient se défilent. La première leçon de ce désastre est donc politique. Il convient de scruter attentivement, d’analyser en profondeur les discours des partis extrêmes, pour les combattre et persuader les électeurs que ceux qui les tiennent seront bien incapables de les assumer et n’auront d’autres issues, comme ce qui vient de se passer en Angleterre, que de se retirer, laissant leur pays dans une grave crise.  

Le pays va être confronté à des difficultés qu’il est impossible aujourd’hui d’évaluer mais qui seront  lourdes. La chute de la livre a appauvri tous les Anglais. La baisse de la bourse a amputé leur épargne. Des menaces pèsent sur l’avenir de la place de Londres. Du fait du « Brexit »,  le pays est devenu moins attractif et les prix de l’immobilier vont baisser. C’est ce qui a provoqué la débâcle des fonds d’investissement. Leur cotation a été suspendue, exactement comme les fonds monétaires de BNP Paribas avaient été fermés en août 2007, donnant le premier signe concret de l’imminence de la crise qui se préparait. La comparaison s’arrête là car le poids de l’Angleterre dans l’économie mondiale est sans rapport avec celui des Etats-Unis. Le risque est ailleurs. Tous les accords qui régissent les relations entre le pays et ses partenaires, qu’il s’agisse de l’Union ou des pays tiers devront être redéfinis. La procédure de sortie elle-même sera très longue et pendant toute cette période, qui va investir dans le pays ? La réponse est simple, à peu près personne, tant que de nouvelles règles du jeu n’auront pas été clarifiées. Or le Royaume-Uni est depuis toujours la porte d’entrée privilégiée des entreprises américaines, et parfois même japonaises, en Europe.  La récession qui guette le pays sera probablement bien plus profonde et durable qu’on ne l’envisage aujourd’hui. La deuxième leçon du désastre anglais, c’est qu’on ne joue pas impunément contre la mondialisation quand on en a été l’un des principaux bénéficiaires.

La troisième leçon concerne l’Europe elle-même. Si elle a été utilisée comme repoussoir, c’est qu’il y avait des raisons, et cette situation n’est pas propre au Royaume-Uni. La « montée des  populismes » n’est pas non plus un phénomène isolé. C’était évidemment tomber dans un piège grossier que de consulter un peuple dans un tel contexte sans déployer les arguments de bon sens nécessaires pour le convaincre. Mais l’Union Européenne ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé, comme si seul le caractère insulaire de l’Angleterre et sa tradition historique était à l’origine du divorce et comme si tout allait rentrer dans l’ordre. L’Europe va devoir impérativement changer son logiciel, comprendre les raisons du rejet dont elle fait l’objet et admettre enfin que « l’intégration bureaucratique » est une voie sans issue, que le nivellement par le bas des protections sociales et des salaires n’a aucune chance de recevoir l’adhésion populaire, que l’abdication devant l’harmonisation fiscale et l’acceptation de pays-boîte-aux-lettres n’est pas compatible avec la rigueur budgétaire prônée par les traités. Ce n’est pas d’un nouveau traité dont l’Europe a besoin mais de plus de lucidité et d’humilité de la part de ses dirigeants. Rêvons un peu. La Commission se réunirait pendant deux jours à huis clos en séminaire et chacun se livrerait à une autocritique de son action et de celle de ses prédécesseurs dans le secteur dont il a la charge. Puis ce serait le tour des chefs d’Etat et de gouvernement, toujours à huis clos, qui exposeraient, chacun pour son pays les critiques qu’il entend et les suggestions dont il a eu connaissance pour répondre aux aspirations citoyennes. Un plan d’action serait alors soumis aux instances compétentes et approuvé ; il ne s’agit pas de relancer l’Europe, mais d’infléchir sa trajectoire pour retrouver l’adhésion populaire.

L’Europe n’est pas une entreprise et son fonctionnement n’est pas passible d’une restructuration ou d’un business plan. Mais si elle fait la sourde oreille aux critiques des peuples, alors le désastre anglais aura des conséquences bien plus graves.