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Le blog d'Alain Boublil

 

Le « cowboyistan » et la renaissance pétrolière américaine

Les énergies fossiles « relèvent la tête » aux Etats-Unis. Il serait temps qu’on en prenne conscience en Europe. La découverte puis la mise en exploitation des gisements de gaz de schiste avait suscité beaucoup d’intérêt du fait de la contestation des technologies employées mais n’avait pas eu de répercussions majeures à l’extérieur. La construction de terminaux LNG qui vient d’être autorisée permettra aux Etats-Unis de devenir exportateurs. Mais l’évolution sera lente. Toutes autres sont les conséquences de l’apparition du pétrole non conventionnel.

Trois grands gisements ont été découverts et mis en exploitation à partir de 2006 : Eagleford au Texas, New Permian à cheval entre le Texas et l’Arizona et Bakken dans le Dakota du Nord.  Avec un certain humour, les américains les ont baptisé leur « Cowboyistan ». En 2014, leur production a atteint 4,5 millions de barils par jour, soit plus que l’Iran ou l’Irak. Les réserves sont considérables, et même supérieures à celles de la plupart des pays de l’OPEP. La menace que le pétrole « non conventionnel » ferait peser sur ces pays exportateurs aurait, selon certains, été à l’origine de la décision de l’Arabie saoudite au mois de novembre  de ne pas ajuster à la baisse sa production pour maintenir les cours à leur niveau d’alors, soit autour de 120 $ par baril. La réalité est plus complexe et cette  stratégie  risque de faire long feu.

Les motivations géopolitiques n’étaient pas non plus étrangères à la décision. Il s’agissait d’affaiblir l’Iran à un moment où la rivalité religieuse entre chiites et sunnites atteignait son paroxysme. Et les pays occidentaux, l’Amérique en tête, n’étaient pas mécontents de sanctionner du même coup la Russie. Les cours du pétrole ont donc été divisés par 2 en moins de trois mois, pour le plus grand profit des pays importateurs.  

Tous ces motifs demeurent. L’Arabie saoudite, bien qu’elle ne compense que partiellement la chute de ses ressources tirées du pétrole par une augmentation de sa production, devrait maintenir cette ligne à l’occasion du prochain sommet de l’OPEP en juin. Mais est-ce que cela affaiblira les nouveaux producteurs américains ? Rien n’est moins sûr. La baisse des cours actuels résulte avant tout d’un excès de l’offre sur la demande, contrairement à tout ce qui a pu être dit sur la « raréfaction des ressources naturelles », sans parler de la théorie du « peak oil ». Grâce aux progrès accomplis dans les techniques d’exploration et d’extraction, nous sommes entrés dans une ère durable d’abondance des énergies fossiles. Cette renaissance a pris son envol aux Etats-Unis et pourrait s’étendre à bien d’autres régions.

En fait c’est la géologie qui a été déterminante, dans la chute des cours, bien plus que la géopolitique. La baisse devrait donc être durable malgré le rebond observé depuis un mois. Et elle ne dissuadera pas les nouveaux producteurs américains de poursuivre leur conquête du marché. Ceux-ci ont une flexibilité dans l’exploitation des puits qui n’existe pas dans les gisements traditionnels. Cette différence apparait dans les décisions respectives des producteurs intervenues ces derniers mois. La baisse des prix a d’abord conduit à différer les projets dans les secteurs traditionnels. Le Canada, l’Australie et la Norvège ont annoncé des réductions d’investissement de plusieurs dizaines de milliards de dollars. La production de ces champs a donc été différée. Mais les réserves existent et elles seront exploitées plus tard.

La situation dans le « Cowboyistan » est différente. Depuis le début de l’année, près d’un tiers des forages a été arrêté et les prévisions de production de l’année se situent en léger retrait par rapport au record de 2014. D’où de nombreux commentaires saluant le succès de la stratégie de l’OPEP. Ils ne sont pas justifiés, et ce, pour deux raisons. D’abord, le nombre de puits n’est pas un indicateur très pertinent  puisque la production peut varier beaucoup d’un puits à l’autre et il est logique que les opérateurs aient commencé par fermer ceux qui étaient les moins productifs. Surtout, si l’objectif, à terme est de faire remonter les prix, le résultat actuel est illusoire car il suffira que ceux-ci atteignent un certain seuil pour que les gisements non conventionnels soient remis en marche. On considère, grâce aux progrès rapides accomplis dans les nouvelles techniques d’extraction que la fourchette de prix qui permet une exploitation rentable se situe entre 60 et 70 § par baril. On voit donc que les prix ne sont pas près de retrouver le niveau passé.  

Les défis auxquels sont confrontés les nouveaux producteurs américains sont d’une autre nature. Les Etats-Unis interdisent l’exportation du pétrole brut extrait sur leur sol alors qu’en même temps les capacités de raffinage sont saturées. Le parc a été restructuré, dans le passé, pour traiter le pétrole lourd, produit notamment au Vénézuela ou à partir des gisements bitumineux du Canada. 30% des raffineries appartiennent en outre à des groupes étrangers qui les alimentent avec leur propre production. Or, le pétrole produit dans le « Cowboyistan » est au contraire du pétrole « léger », propice à la transformation en essence, ce qui est un avantage, mais à condition de disposer des outils de raffinage. La vraie raison du coup d’arrêt à la croissance du pétrole non conventionnel, est qu’on ne peut plus en produire davantage car il est interdit de l’exporter et les capacités de raffinage sont saturées. Une partie de ces surplus est d’ailleurs allé gonfler les stocks stratégiques américains, mais cela a des limites.

Les producteurs demandent donc la levée de l’interdiction, du « ban », qu’ils considèrent comme uns sanction, laquelle se traduit en plus par un écart de l’ordre de 10% entre le cours mondial, le « brent » et le cours américain, le « WTI ». La levée du « ban » fait l’objet d’un projet de loi déposé devant le Sénat, mais qui ne devrait être débattu qu’après l’élection présidentielle. Il n’est pas sûr que cela provoque un alignement des cours américains vers le haut, mais cela offrira aux producteurs l’ouverture sur le marché mondial. Parallèlement, l’outil américain de raffinage sera adapté aux nouvelles conditions du marché, mais cela sera progressif et prendra plus de temps.

L’évolution des cours mondiaux du pétrole va donc dépendre, dans l’avenir, non plus des choix de l’OPEP, mais des décisions qui seront prises aux Etats-Unis. En tout état de cause, le sentiment qui domine outre-Atlantique, est qu’une nouvelle ère d’abondance s’est ouverte et qu’elle n’est pas limitée au gaz naturel. Le renouveau des secteurs pétrolier et gazier ne sera pas sans effet sur les performances de l’industrie américaine qui bénéficieront d'un prix de l'énergie en baisse et d'un accès privilégié à ces matières premières essentielles par exemple pour la chimie. Il faut, en Europe, s’y préparer. Cela pourrait aussi, grâce à la réduction de la part du charbon, contribuer significativement à la baisse des émissions de gaz à effet de serre.