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Le blog d'Alain Boublil

 

Iran, pétrole : les nouveaux paradigmes

Le succès, à confirmer, des négociations avec l’Iran, comme les réactions des marchés pétroliers au projet d’accord, montrent bien que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, aussi bien pour les relations avec les pays du Golfe que pour la géopolitique de l’énergie.

La déstabilisation du Moyen-Orient et d’une partie de l’Afrique, avec les guerres civiles et les massacres qui les accompagnent, est le résultat de la lutte sans merci que se livrent deux branches de l’Islam, les sunnites et les chiites. Elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler les terribles guerres de religion qui opposèrent, en Europe, catholiques et protestants au XVIème siècle. Jusqu’à présent, la position des Etats-Unis, suivie par les pays européens, était dictée par des considérations géostratégiques : l’Iran, dirigé par un gouvernement anti-occidental menaçait la sécurité de ses voisins, Israël mais aussi l’Arabie saoudite. Il était donc l’ennemi principal. L’accession au pouvoir d’un gouvernement plus modéré avait été bien accueillie mais n’avait pas changé fondamentalement le regard de l’Occident. Deux facteurs ont remis en cause ce fragile équilibre, la proclamation d’un « Etat islamique » et le retournement des marchés pétroliers.

L’émergence d’un Etat-terroriste, Daesh, sur les décombres de deux Etats auparavant stables et comportant une forte population sunnite, l’Irak et la Syrie, et les atrocités auxquelles se livrent ceux qui s’en réclament, a fait prendre conscience à l’Occident que le péril principal n’était plus forcément l’Iran chiite. Et la découverte, grâce à la mise en place de nouvelles technologies, d’immenses réserves de pétrole et de gaz sur le sol américain, a fortement réduit l’importance stratégique du Moyen-Orient pour les Etats-Unis, où l’Arabie Saoudite, sunnite, jouait un double de rôle. Facteur de stabilisation politique dans la région, le royaume étendait son influence sur les marchés pétroliers qu’il contrôlait à travers l’OPEP. C’est cette place qui est aujourd’hui remise en question.

Un accord entre l’Iran et les Etats-Unis n’est pas définitivement acquis, même si les dirigeants de ces deux pays le souhaitent. Ils doivent encore le « vendre », les uns au Congrès, les autres  à la frange la plus conservatrice de leurs autorités religieuses. Les Républicains hésiteront à offrir à un président démocrate un succès diplomatique  pendant une année pré-électorale. Et les conservateurs iraniens n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. Mais ils ne pourront pas rester éternellement insensibles aux aspirations populaires, incarnées par les manifestations de joie, à Téhéran, après l’annonce du protocole de Lausanne. Ces obstacles ne sont pas insurmontables. Mais un accord signifiera un spectaculaire renversement d’alliances, les dirigeants chiites devenant de facto des alliés de l’Occident pour lutter contre Daesh et ramener la paix au Moyen-Orient. Des milices iraniennes combattent déjà en Irak au côté de l’armée régulière et… des alliés occidentaux. Cela se traduira aussi inévitablement par une moindre importance accordée par les Etats-Unis à ses relations avec l’Arabie saoudite. Dès lors les équilibres des marchés pétroliers en seront durablement affectés, chacun, comme on le constate depuis six mois, étant désormais guidé par son strict intérêt national.

Du point de vue américain, c’est sans aucun doute la « révolution du gaz et du pétrole de schiste » qui a contribué le plus à cette évolution. Le phénomène était doublement bénéfique : il a favorisé le retour de la croissance, après la « Grande Récession » et la baisse des cours a réduit les ressources de la Russie à un moment où la tension entre l’Est et l’Ouest réapparaissait à la suite des évènements d’Ukraine. Un prix élevé du pétrole et du gaz n’est donc plus, comme il le fut longtemps, dans l’intérêt des Etats-Unis. Et l’Iran a plus à gagner avec la fin des sanctions, espérée au terme du processus en cours, qu’avec le maintien du cours du baril au dessus de 100$ puisque le pays n’exportait presque plus. Tout cela va donc conduire à une révision complète des analyses qui jusqu’à présent, et depuis fort longtemps, pronostiquait l’épuisement des matières fossiles (hors charbon s’entend) et donc une hausse inexorable des cours.

On se souvient des raisonnements d’Ivan Illich et du Club de Rome il y a quarante ans qui pronostiquaient la fin de la croissance et de la civilisation technicienne,  dans la lignée des réflexions de nombreux philosophes allemands. La Terre est un ensemble fini et on arrivera, pensaient-ils, plus tôt qu’on ne le croit, aux limites d’un système basé sur l’exploitation des ressources naturelles. Ce qu’ils n’avaient pas intégré dans leurs raisonnements, c’est que si la Terre est bien un ensemble fini, la capacité de l’homme à créer et à innover est, elle, infinie. Ils avaient oublié Mozart. Des gisements d’une taille considérable, bien avant ceux découverts aux Etats-Unis, sont devenus exploitables, grâce à la mise en œuvre de nouvelles techniques de production, notamment en Afrique et en Amérique du sud. Quand au gaz et au pétrole de schiste, imaginer qu’il n’y en a qu’au Canada et aux Etats-Unis relève du déni. Il suffit de penser aux immenses étendues vierges de Sibérie pour entrevoir ce qui se passerait si on se mettait à en chercher.

De nombreux commentateurs, pas toujours désintéressés, ont aussi exprimé l’analyse suivant laquelle la chute des cours pénaliserait l’exploration et l’exploitation des nouveaux gisements. Rien de tout cela ne s’est produit, même si la rentabilité des sites fut, dans l’instant sérieusement réduite. Mais la réaction des compagnies exploitantes ne s’est pas fait attendre et elles ont su, grâce aussi à l’effet d’expérience, diminuer fortement leurs coûts. La baisse des cours n’a pas eu et n’aura pas d’effet sur la production américaine, qui continuera de croître. Les pays exportateurs, l’Arabie saoudite en tête l’avaient bien compris. On attendait de leurs dirigeants qu’ils réagissent en réduisant la production et fassent  remonter les cours dans le cadre d’une action concertée  lors de la dernière réunion de l’OPEP à la fin de l’année dernière. Ils ont fait le contraire car ils avaient compris qu’ils valaient mieux produire, et vendre leur pétrole et accumuler ainsi des dollars dans leurs coffres, d’autant que le cours de la devise américaine s’appréciait, plutôt de laisser leur brut dans le sous-sol, car sa valeur  avait toutes chances de décliner dans l’avenir.

Les cours du pétrole et du gaz vont donc rester à un niveau faible pendant une longue période. La dernière fois, entre 1985 et 2003, cela avait duré près de vingt ans, avec un point bas, pour le brut, en 1998 en dessous de 20$. Les dirigeants politiques doivent donc intégrer ce nouveau paradigme, dans leurs stratégies économiques et ce d’autant que le renversement des alliances au Moyen-Orient, s’il se confirme aboutira, tôt ou tard à une pacification de la région, elle-même source de nouveaux investissements et d’augmentations de la production locale.

La révolution du gaz et du pétrole de schiste et la réintégration de l’Iran dans le concert des nations, si toutefois celle-ci est actée au mois de juin, auront alors constitué un tournant majeur qui marquera les premières décennies du XXIème siècle.