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Le blog d'Alain Boublil

 

Mondialisation:la nouvelle "Silk Road"

Les grandes réunions internationales qui se sont tenues entre le 10 et le 17 novembre (sommets de l’APEC, de l’Asean et G20) ont été marquées par la place désormais prépondérante qu’y occupe la Chine. Le président chinois y est apparu chaque fois en position de force. Il a certes bénéficié de l’affaiblissement de ses interlocuteurs, Vladimir Poutine  confronté à la crise ukrainienne, Barack Obama affecté par la perte du Sénat, le Premier Ministre japonais, se faisant discret, en raison des difficultés économiques de son pays et  attendant d’être reçu par Xi Jinping, malgré la tension qui persiste entre eux sur la situation en mer de Chine. Quant aux Européens, ils sont apparus au G20 divisés et affaiblis par la stagnation de leurs économies. Mais l’ascension de la Chine n’a pas seulement résulté de l’affaiblissement de ses partenaires. Elle découle de la volonté affirmée par ses dirigeants de jouer un nouveau rôle sur la scène économique mondiale, en étant pilote dans les négociations multilatérales et en multipliant les partenariats aux travers d’accords d’Etat à Etat.

Ainsi, la Chine a lancé la négociation d’un accord de libre échange entre les pays de la zone Pacifique, accord excluant pourtant les Etats-Unis et le Japon, au moment où précisément les Etats-Unis essayaient en vain de progresser dans la discussion sur le Traité Trans-Pacifique (TPP). Et les dirigeants chinois n’ont eu aucun mal à expliquer, contre toute logique, que ces deux accords n’étaient en rien exclusifs l’un de l’autre.

Pékin a ensuite signé un accord bilatéral avec les Etats-Unis sur la réduction des émissions de CO2 en vue de la Conférence de Paris, d’une portée considérable puisqu’il reconnait pour la première fois que le volume d’émissions chinoises devra être plafonné en valeur absolue, alors que jusqu’à présent il n’était question que de limitation par unité de PIB. Mais à aucun moment les dirigeants chinois n’ont songé à associer à ces discussions, le pays organisateur de la Conférence, la France.

Enfin, lors de la réunion des dirigeants de l’ASEAN, qui se tenait entre le sommet de l’APEC et le G20, le Premier Ministre Li Keqiang a lancé toute une série d’initiatives multilatérales pour renforcer les liens entre les pays de l’Asie du Sud Est. En marge de ces réunions, la conclusion de partenariats stratégiques bilatéraux s’est déroulée à un rythme impressionnant. Un nouvel accord géant avec la Russie sur des achats de pétrole et de gaz a été conclu, en même temps qu’étaient initiées des procédures permettant aux deux pays de régler leurs échanges sans passer par le dollar ; avec la Thaïlande, un projet de ligne de chemin de fer reliant le pays au Yunnan a été élaboré et des achats massifs de riz ont été signés ; avec Singapour, un accord de coopération militaire a été renouvelé et étendu ; avec le Canada, la Malaisie et la Corée, pour faciliter leurs échanges et favoriser les transactions en Yuan, des accords de swaps de devises très significatifs ont été conclus ; avec la Corée, encore, un accord de libre échange ; enfin, le lancement de la plate-forme commune boursière entre Shanghai et Hong Kong est devenu effectif et les particuliers, sans devoir passer par la procédure des « Investisseurs Qualifiés », vont pouvoir de part et d’autre de la frontière, procéder à des achats de titres sur les deux marchés, sous réserve que, quand ils les revendent, ils rapatrient les fonds dans leur pays d’origine.

Cette intense activité avait besoin d’être résumée par une formule, une image qui frappe l’opinion : ce sera la nouvelle « Silk Road ». Si cette référence évoque chez nous des brochures touristiques, en Chine, elle renvoie à une expérience historique majeure, la première ouverture du pays à l’Occident, il y a 2000 ans. Le musée national, à Pékin, présente, ce n’est évidemment pas une coïncidence, dans une exposition, des témoignages de cette époque, avec des statues en terre cuite représentant les marchands étrangers et leurs caravanes, venant prendre livraison des épices et de la soie si prisée dans les Cours européennes. La Route de la Soie, avec son homologue maritime qui envoyait les commerçants chinois vers l’Inde puis l’Afrique, ce fut la « Première Mondialisation ». Mais elle avait ceci de particulier, ce qui la rendait acceptable aux yeux des Empereurs, que la Chine se situait au centre du jeu, les réseaux étant structurés en fonction de ses productions et de ses débouchés.

Le message des autorités aujourd’hui, quand elles font appel à ce précédent historique lointain, c’est que précisément et désormais, la Chine se situera au centre de la nouvelle étape de la mondialisation. Jusqu’à présent, elle était « l’usine du monde », ses ateliers fournissant, grâce à une main d’œuvre bon marché, ses clients occidentaux, la grande distribution notamment, et ses entreprises intervenaient comme sous-traitants des groupes américains, japonais ou européens. C’était spectaculaire, par exemple pour l’électronique, des téléviseurs aux téléphones portables et plus récemment aux tablettes. Cette époque est révolue pour deux raisons : les salaires ont augmenté au point de faire perdre une bonne part de l’intérêt des délocalisations en Chine et surtout parce que les entreprises chinoises, dans de nombreux domaines ont désormais, seules ou en partenariat, les compétences pour produire et vendre ces produits dans le monde entier. Elles sont, en outre, en train d’acquérir la notoriété et la qualité suffisantes pour imposer leurs marques.

Dans ces conditions l’insertion de la Chine dans l’économie mondiale va revêtir une autre forme. Etant en mesure de proposer à ses voisins, en concurrence avec l’Occident, les produits et les technologies dont ils ont besoin, notamment dans le domaine des infrastructures, Pékin s’adresse désormais directement à eux et conclut, à cette fin, des accords, où, en échange des matières premières dont la Chine manque, elle finance et réalise, avec ses propres entreprises, les grands projets nécessaires à leur développement. Elle facilite ainsi la circulation de ses produits, destinés d’abord à l’Occident et bientôt à ces mêmes pays au fur et à mesure que les revenus de leurs populations auront atteint le niveau qui leur permettra de les acquérir.

Ainsi la Chine reconvertit-elle progressivement ses entreprises, de sous-traitants ou d’usines « low-costs » en unités compétitives au niveau mondial employant une main d’œuvre hautement qualifiée. Et cette reconversion est soutenue par une diplomatie économique très active qui vise à soutenir le développement de ses voisins, tout en se positionnant pour en tirer pour elle-même, le meilleur parti. C’est spectaculaire en Asie centrale depuis plusieurs années. Ce qui est nouveau, c’est que maintenant toute l’Asie du sud et la zone pacifique va être concernée. Le fait que le Président chinois ait effectué une longue visite d’Etat en Australie après le G20 et négocié un accord de libre échange, à la portée certes limitée, est à cet égard tout à fait révélateur, quand on sait que les relations entre ces deux pays étaient tendues du fait des restrictions aux importations de charbon australien et des inquiétudes de ce pays face à l’immigration massive de population d’origine chinoise ces dernières années.