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Alain Boublil Blog

 

2014: un nouveau tournant pour la gauche?

Le parallèle souligné par de nombreux commentateurs entre la situation qui prévalait en 1983, qui déboucha sur le "tournant de la rigueur" et la crise politique déclenchée par Arnaud Montebourg, et qui s'est traduite par son départ du gouvernement, n'est pas aussi artificiel qu'on veut bien le dire. Il s'agit, dans les deux cas, d'un choc d'ambitions personnelles qui s'exprime, au travers de choix économiques différents. Ces divergences servent largement de prétextes pour créer des clivages et faire avancer la position de chacun des protagonistes dans sa lutte pour le pouvoir.

En 1983, l'enjeu était de remplacer Pierre Mauroy à Matignon, poste que visaient Jacques Delors et Pierre Bérégovoy. Le prétexte fut la sortie ou non du SME, étant acquis que le différentiel d'inflation entre les pays membres imposait des réalignements successifs. Le choix de François Mitterrand à l'époque fut dicté par ses convictions européennes et par le bon sens tant les contours de "l"autre politique" lui semblèrent flous. En revanche le plan qui suivit le remaniement gouvernemental, après le troisième réalignement monétaire, traduisit la violence des affrontements qui s'étaient déroulés avant l'arbitrage final, au point que le Président en fut surpris et s'employa à en minimiser la portée. Quelques mois plus tard, ses mesures les plus emblématiques, le durcissement du contrôle des changes et l'emprunt obligatoire auprès des ménages, furent rapportés. D'ailleurs, comme le montrent les données rassemblées à l'occasion de travaux réalisés sous l'égide de l'Institut François Mitterrand, et consultables dans les archives de notre site, la situation de l'économie française ne justifiait pas à l'époque un tel choc.

Le débat qui vient de conduire à la démission du gouvernement et au départ de trois ministres, fut plus bref mais tout aussi brutal. Il s'est articulé autour de "l'austérité imposée par Bruxelles et Berlin", et des choix économiques qui en découlait, jugée par ses détracteurs, contraires aux engagements pris en 2012. Mais il ne faut pas être dupe. A aucun moment, la France n'a été confrontée à une situation analogue à celle qu'ont connu l'Irlande, l'Espagne ou le Portugal, pour ne pas citer le cas de la Grèce. La politique économique a eu pour objet de faire redémarrer la croissance et pas de plonger notre pays dans la profonde récession qu'ont connu ces pays et dont ils commencent à peine à sortir. Venant en outre du ministre qui était l'interlocuteur naturel des entreprises, la critique des mesures destinées à les renforcer était paradoxale. Son départ, comme sa réthorique, rappellent les choix de Jean Pierre Chvênement en 1983. Espérons que le destin d'Arnaud Montebourg ne se réduira pas à faire éliminer au premier tour d'une présidentielle, le candidat socialiste, quel qu'il soit.

Le débat est donc bien moins idéologique qu'il n'y parait. Il ne s'agit pas du choc des "deux gauches" ou de l'affrontement entre deux théories, l'une privilégiant le soutien de la demande, l'autre  donnant la priorité à l'offre, mais de celui des ambitions personnelles. Cela ne doit pas pour autant occulter le débat sur la pertinence de la politique suivie dont les résultats sont, jusqu'à présent, loin d'être conformes aux attentes, comme viennent de le montrer les données sur la croissance au premier semestre et la nouvelle montée du chômage au mois de juillet.

La principale faiblesse de cette politique vient de l'incompatibilité entre les calendriers : pour satisfaire Bruxelles et Berlin, il faut une réduction rapide des déficits et on compte sur la croissance retrouvée pour faire rentrer les indicateurs choisis dans la norme. Mais on choisit des instruments (le CICE, le pacte de responsabilité et le soutien aux investissements) qui ne peuvent d'avoir d'effet sur la croissance qu'à moyen terme. Les financiers appellent cela un "missmatch", un mauvais ajustement entre les échéances et les recettes, qui conduit la faillite, sauf à prendre des mesures transitoires. Dans le cas présent, la France perd sur les deux tableaux. La croissance n'est pas au rendez vous et les objectifs de déficit ne sont pas atteints. Cette situation est bien illustrée par l' évolution des recettes fiscales observée au premier semestre où la croissance a calé.

Du fait des décisions prises en 2013, le produit de l'impôt sur le revenu a augmenté de 17% et celui de l'impôt sur les sociétés a baissé de 27%. Cette divergence entre les prélêvements sur la moitié des ménages qui paient l'impôt direct et sur les entreprises est sans précédent. A l'inverse, et malgré la hausse de la TVA qui n'a pas été entièrement répercutée par les entreprises, comme en témoigne la très faible inflation observée depuis le début de l'année, les taxes sur la dépense (TVA et TICPE sur les carburants) progressent moins que prévu du fait de l'atonie de la demande. Dans le cas de la TICPE, cela résulte aussi de la baisse des cours du pétrole. On se demande d'ailleurs ce qu'attend le gouvernement pour instaurer un mécanisme qui gèle cette baisse,  met en réserve au moyen d'une taxe les ressources pour atténuer les hausses futures, et accessoirement pour réduire l'écart tout à fait injustifié entre l'essence et le diesel.

Avec la loi de finances rectificative pour 2014, votée en juillet, cette divergence va être atténuée avec les baisses d'impôt pour les contribuables les plus modestes. La prévision de recettes a été rréduite de 3,1 milliards.soit près de la moitié de la hausse votée en 2013. L'impact récessif de la fiscalité directe sur les ménages sera donc atténué. Pour les entreprises, la baisse sera portée de 8,3 à 11,2 milliards, alors que l'investissement  poursuit sa chute et  les recrutements restent gelés.

Là, le gouvernement se heurte à une difficulté qu'il n'a pas clairement identifiée : la résistance des banques à prêter, laquelle affecte surtout les PME, donc les créateurs d'emploi, puisque les grands groupes peuvent se financer sur le marché et profiter des taux d'intérêt très bas. Cette réticence des banques est la conséquence de l'action contradictoire de deux autres instances internationales, le comité de Bâle, qui a fixé des règles plus exigeantes pour les prêts aux entreprises en imposant l'affectation de fonds propres supplémentaires et la BCE qui leur a proposé des conditions de financement à taux très bas. La réaction des banques ne s'est pas fait attendre : elles ont massivement eu recours au financement de la BCE et ont employé ces fonds dans toute l'Europe, non pas au profit des entreprises, mais en achetant des titres d'Etat, lesquels de surcroit renforcaient leur bilan à la veille des "stress tests" auxquels va procéder la BCE afin de vérifier leur solidité et éviter que ne se renouvelle les excès qui avaient précédé la crise de l'euro.

Ce "carry trade" massif a eu une conséquence spectaculaire : la baisse sans précédent du taux des emprunts d'Etat dans toute la zone euro et le resserrement, lui aussi sans précédent, des écarts de taux (les spreads) entre Etats. Aujourd'hui, le taux à dix ans français est de 1,20% et son écart avec le bund allemand a enfoncé le seuil des 30 points de base, justifié traditionnellement par la plus grande liquidité de la dette allemande. Pour mémoire, le taux qui avait servi de base de calcul du coût de la dette de l'Etat, lors de l'établissement du budget pour 2014, était de 3,3% !

Et comme la politique de la BCE va s'amplifier, suivant les dernières annonces de son président à Jackson Hole, la charge de la dette des pays de la zone euro va baisser. Il y a donc là un moyen efficace de réduire non le niveau des dettes mais leur coût qui pèse lourdement sur les déficits et ainsi de les réduire de façon durable et certaine. Pour la France, qui va bien être obligée à la fois de réaffirmer ses engagements de réduction de déficit et de modifier le réglage de sa politique économique en faveur des ménages, s'il ne veut pas perdre toute chance de retrouver un niveau satisfaisant de croissance, il y a là une piste à explorer pour le nouveau gouvernement. Et on peut être assuré que l'expérience professionnelle d'Emmanuel Macron lui permettra de mesurer cet enjeu et de saisir cette opportunité. Et surtout, qu'on ne vienne pas argumenter que cette hausse de la consommation ne profiterait qu'aux importations. Vu le niveau très faible du taux d'utilisation de nos capacités de production, les entreprises sont tout à fait en mesure de satisfaire de nouveaux clients. A condition aussi que ces clients soient responsables dans leur comportement et comprennent qu'il est dans leur intérêt bien compris, s'ils veulent protéger les avantages sociaux dont ils bénéficient, de s'adresser à des fournisseurs qui créent des emplois en France.

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